Les illusions dans la vie courante, l’objectivité

par Jean Marie Champeau 15 Février 2022, 11:29 vie courante

 

L'illusion de l’objectivité

 

journaux
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Je me souviens des débats de 68 à propos de l’objectivité journalistique.

 

Forts du constat que l’objectivité parfaite n’est pas possible, les gauchistes de tous poils se sont engouffrés dans la brèche pour transformer leur devoir de réserve en « éducation des masses » et permettre leur récit de propagande.

 

En philosophie et en science, l’objectivité est la qualité d'un observateur qui décrit les faits avec exactitude en faisant abstraction de ses propres jugements de valeur.

 

Mais revenons au début de l’histoire. . .

 

Pour dresser ce constat, navrant au demeurant, je me suis (librement et largement) inspiré de l’article sur le sujet, de Arnaud Mercier, professeur à l'Institut français de presse (IFP) de l'université Paris-II Panthéon-Assas.

 

Démonstration

 


On peut constater que la tournure de gauche n’offre pas le même récit de causalité que celle qui lui est opposée.

 

Pourtant, nul n’imagine publier ou lire juste ceci :

 

«Les policiers ont lancé des dizaines de grenades lacrymogènes en direction des manifestants. 
Certains manifestants ont lancé des projectiles sur les forces de police. », 

 

car l’on voudra en savoir plus.

Qui a commencé ? Qui a riposté ? Combien étaient-ils ? D’où venaient ces projectiles, pris sur place ou amenés donc pour des actes prémédités ? 

 

Pour qu’un récit soit dynamique, il faut des acteurs et des motifs d’agir faute de quoi, nous aurions la sensation de faire face à un récit journalistique désincarné.

 

Dans un registre plus ordinaire, la forme journalistique implique un récit. Le style est aussi un regard porté sur les choses. Le choix d’un adjectif qualificatif, comme son nom l’indique, qualifie et connote.

 

Les médias
médias
médias

 

Le récit d’information, reposant sur l’enquête de terrain et la retranscription de vérités factuelles, s’accompagne inévitablement d’une prise de position sur les faits. 

 

C’est ce que de nombreux photo reporters ont revendiqué explicitement, affirmant choisir leurs terrains d’enquête, leur focale, en fonction de leur regard sur le monde.

 

Les médias qui ouvrent leurs colonnes à pareille conception du métier ne font d’ailleurs pas mystère de leur ligne éditoriale engagée et de leur vocation à interférer sur le débat public. 

 

Mais les publics peuvent aussi ressentir un malaise quand la dimension éditorialisée n’est pas suffisamment séparée du reste des faits traités. 

 

En outre, la porosité entre information et politique est totale et la question de la neutralité devient alors un non-sens.

 

C’est typiquement le cas de propos tenus sur bon nombre de plateaux TV par des éditorialistes  pontifiants, qui distribuent bons et mauvais points avec aisance et aplomb.

 

Un outil passe-partout, le conditionnel

 

L'expression « conditionnel journalistique » sert à désigner un effet de sens du conditionnel, que l'on observe dans des énoncés comme, « le Président serait malade », soit empruntée à une source différente du locuteur ou présentée comme incertaine.

 

Ainsi l'expression couramment usitée dans le discours journalistique « à mettre au conditionnel » est-elle généralement celle d’une information « à confirmer ». 

 

Cette propriété se manifeste particulièrement au cours de soirées électorales, lors des estimations des résultats, dans des énoncés, très courants, du type «Au vu des premiers résultats, Monsieur X serait réélu»

 

C’est avec cette expression d’incertitude qui le protège, qu’un journaliste mal intentionné ou propagandiste (je vous rassure il n’en existe pas), va proférer des sous entendus, contre-vérités ou accusations sans fondement en toute impunité. . .

déontologie
déontologie


En réaction à une telle conception du journalisme engagé, une autre conception du métier s’est déployée, prétendant pouvoir faire un distinguo entre les faits et les commentaires. 

 

Neutralité et objectivité sont alors pensées comme les deux faces d’une même médaille décernée aux journalistes professionnels qui arrivent à faire abstraction de leur sensibilité, de leurs émotions, de leurs intimes convictions, pour délivrer un récit neutre des faits.

 

Défi qui est posé comme possible et plausible, mais difficilement réalisable tel quel.

 

On comprend bien pourquoi une posture déontologique est mise en avant comme un garde-fou professionnel.

 

Lucide honnêteté

 

L’article de Arnaud Mercier se termine par des recommandations que chaque journaliste devrait méditer et surtout appliquer et qu’il nomme la Lucide honnêteté.

 

On peut dire que la question de la neutralité journalistique est mal posée si elle prétend enfermer le débat dans une vision binaire entre ceux qui seraient neutres et les autres. 

 

La neutralité stricte est un inaccessible humain. En revanche, ce qu’il est possible d’envisager, c’est bien l’édiction de règles qui garantissent une lucide honnêteté intellectuelle pour tous, journalistes comme public. 

 

Le journaliste est censé respecter des règles professionnelles fondatrices qui évitent les manipulations ou les tentations de se laisser aller à sa pente personnelle. On peut citer : 

 

- trouver plusieurs sources ; les citer, avec des guillemets pour affirmer que leurs propos ne sont pas interprétés mais juste relayés,

 

- recouper leur vision des faits pour y déceler ce qui fait consensus et ce qui reste sujet à polémique ou interprétation, 

 

- s’attacher à la matérialité des faits et des gestes et minimiser au maximum les interprétations,

 

- prévoir un contrôle collectif et hiérarchique lors du processus d’écriture qui oblige le journaliste, à chaque relecture, à sortir de lui-même et à prendre conscience de ses déterminations sociales et culturelles,

 

- afficher un pacte de lecture avec son public qui crée un rapport à l’actualité non pas neutre, mais « juste » lucidement honnête,

 

- prévoir enfin une possibilité d’expression contradictoire des publics faisant du journaliste un être traversé par la possibilité d’une critique.

 

C’est dans le renouvellement quotidien de cette promesse que se tisse, pas à pas, ce lien ténu que l’on nomme confiance.

 

Moralité

 

 

Là, je reprends mes commentaires. . .

 

Si neutralité et objectivité ne sont pas possibles, il me semble que les médias ferait bien de s’inspirer de cette Lucide honnêteté. 

 

Ce n’est pas faire injure à la profession de dire que bien peu affichent ces principes et ces attendus et respectent leur auditoire au point de signaler leur sensibilité et que, par ailleurs, bien peu admettent la critique. 

 

Ce me semble pourtant être un minimum que d’imposer à un journaliste, homme public, de prévenir son auditoire en indiquant ses convictions qui font forcément porter un regard particulier sur l’événement.

 

Les choix qui sont effectués dans tous les médias, y compris ceux qui ne revendiquent pas une couleur politique, sont forcément subjectifs, puisqu’un choix l’est, par définition. Il en va de même pour la manière dont on traite un sujet.

 

Si, certains médias assument un positionnement idéologique clair, pour les autres c’est silence radio.
Pour ceux là, leurs « convictions » qui suintent de leurs éléments de langages, créent un doute chez l’auditeur sur leur sincérité. Suspicion renforcée par leur criante proximité avec les politiques.

 

Il ne faut pas s’étonner, dès lors, de la défiance des citoyens envers eux. 

 

Parmi de multiples exemples qui alimentent cette suspicion, il n’est que d’apprendre par la bande (et non de l’intéressée elle même), qu’une journaliste, compagne (pas l’épouse, ce serait trop ringard), d’un homme politique, interviewe ce même homme politique, ci-devant ministre, sans que la profession, ni le CSA(?), s’en émeuve plus que ça(*).

 

Moralité ? On est loin du compte ! 

 

Tout comme cette chèvre qui se régale d’une herbe bien grasse qu’elle pense avoir choisie elle même, des organes que nous ne maîtrisons pas nous livrent des informations choisies, triées et interprétées par eux, et nous les donnent à consommer au beau milieu de leur « pré carré ».

 

 

C’est la double illusion de l’objectivité.

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(*) I24 News, mardi 18 janvier 2022.

 

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