Les illusions dans la guerre, 39-45, Opération Mincemeat, l’Espagne

par Jean Marie Champeau 15 Septembre 2022, 02:00 guerre

En Espagne

 

Le corps du «major Martin» a été retrouvé vers 9h30 le 30 avril 1943 par un pêcheur local, José Antonio Rey Maria qui a remarqué quelque chose flottant dans les vagues. Parmi le groupe de pécheurs, José Antonio s'est proposé pour ramener le corps à terre.

 

En approchant, il a constaté qu'il s'agissait du cadavre d'un homme portant un imperméable et une petite valise attachée à son avant-bras. La mer étant calme, ils l'ont mis dans le bateau et, en ramant, se sont dirigés vers la plage de La Bota, où ils ont laissé le corps sur le sable, sous la responsabilité de la garde civile.

 

La plage de La Bota

Le corps a passé toute la matinée dans les dunes, sous le soleil, là où le pêcheur José Antonio Rey María l'avait porté. 
Progressivement un attroupement s’est formé. 

 

L'affaire relevait de la juridiction militaire du port. En fin de matinée, le lieutenant de la marine Mariano Pascual del Pobil Bensusan, commandant en second du port et juge militaire par intérim, est apparu sur la plage. Il fit un examen superficiel du corps, notant l'uniforme militaire et la mallette avec l'écusson «G VI R »(George VI, Rex) et la couronne royale, attachée au mort par une chaîne. Il a également extrait le portefeuille et noté le nom du major Martin sur la carte d’identité. 

 

Le corps a été chargé sur un âne et en fin d'après-midi, est arrivé au quartier général d'infanterie près du quai, trop tard pour organiser le transport du corps à travers l'embouchure de l'estuaire. Le cadavre a été placé dans une dépendance, prêt à être transféré à Huelva dans la matinée du lendemain.

Huelva                  

Quand le corps est arrivé à Huelva amené par des soldats espagnols, il a été remis à Mariano Pascual del Pobil, le juge d'instruction maritime qui a prévenu Francis Haselden, vice-consul qu’il disposait du corps dans ses locaux. 

 

Haselden devait jouer le rôle de l’officiel harcelé sous la pression croissante de ses patrons pour retrouver la mallette manquante. 
Le rôle exigeait des nuances. 

Francis Haselden

Haselden devait se renseigner, avec une urgence croissante, sur les papiers manquants, mais il ne devait pas le faire trop énergiquement, car cela pourrait conduire à ce que les documents lui soient effectivement restitués avant d’atteindre les Allemands. 

 

Dans ce cas, l'opération Mincemeat aurait échoué.

 

Il a rapporté à l'Amirauté que le corps et la mallette avaient été retrouvés. Une série de câbles diplomatiques pré-scénarisés ont été envoyés entre Haselden et ses supérieurs, pendant plusieurs jours.

 

Les Britanniques savaient que ceux-ci étaient interceptés et, bien qu'ils aient été cryptés, on savait que les Allemands avaient cassé le code. Les messages insistaient sur le point qu'il était impératif que Haselden récupère la mallette parce que c'était important.

 

 

Méthodiquement, le préposé de la morgue a fouillé les poches du mort et en a extrait le contenu qu’il a disposé sur la table à côté de la mallette verrouillée.
Argent liquide, cigarettes trempées, allumettes, clés, reçus, carte d'identité, portefeuille, timbres et vignettes de billets de théâtre. 

 

Pascual del Pobil y jeta à peine un coup d'œil. Il était presque l’heure du déjeuner. Haselden faisait de son mieux pour paraître indifférent. 

 

L’officier espagnol a porté son attention sur la mallette qu’il a déverrouillée avec l’une des clés du mort. Le contenu était trempé, mais l'écriture sur les enveloppes était toujours clairement lisible. 

 

Pascual del Pobil

Pascual del Pobil a soigneusement examiné les noms sur les enveloppes et a fait signe à Haselden de regarder. Haselden n'avait appris que les grandes lignes de l'opération Mincemeat. Mais d'après les sceaux rouges et les enveloppes en relief, il s'agissait clairement de lettres militaires confidentielles. 

 

Pascual del Pobil a du comprendre l’importance des documents, car il fit exactement ce que Montagu et Cholmondeley redoutaient. Montrant la valise il demanda à Haselden s'il voulait la prendre croyant faire un geste d’amitié envers le vice-consul et aller déjeuner plus vite.

 

Haselden savait qu'il devait réagir rapidement. Il s'était préparé mentalement à la possibilité que Pascual del Pobil arrondisse les angles et lui remette simplement la mallette. 

 

Avec autant de nonchalance que possible, il dit: «Eh bien, votre supérieur pourrait ne pas aimer, alors peut-être devriez-vous la lui remettre, puis me la rapporter, en suivant la voie officielle ».
 

Pascual del Pobil referma la mallette. Le plan avait failli capoter dans la dernière ligne droite.

L’autopsie
Eduardo Fernández del Torno

A midi, le 1er mai, une autopsie est pratiquée sur le corps de Michael-major Martin


L'autopsie aurait du être réalisée par un légiste militaire, mais comme il était absent, la tâche incombait au Dr Eduardo Fernández del Torno, le médecin légiste civil. 

 

Fernández avait une vaste connaissance pratique des cadavres en général et des victimes de noyade en particulier.

 

Haselden ne savait rien des circonstances réelles entourant le corps, mais il en savait suffisamment sur l'intrigue pour se rendre compte que plus l'autopsie serait détaillée, plus il était probable que le pathologiste trouverait des indices sur la cause réelle du décès. Il demanda à assister à l’opération. 

 

Le vice-consul britannique était ami avec le médecin espagnol. La puanteur de la putréfaction dans la pièce était maintenant presque écrasante. Avec une présence d'esprit remarquable, il décida d'intervenir.

 

Puisqu'il était évident que la forte chaleur avait fait son effet, il n'était pas nécessaire de procéder à une autopsie détaillée. Le médecin, non sans soulagement peut-être, a accepté de lui faire son rapport plus tard et a délivré le certificat de décès pour le major William Martin pour "asphyxie par immersion dans la mer".


Dans son rapport ultérieur, le médecin légiste indiquera que le corps semblait avoir séjourné en mer entre 8 et 10 jours. Il trouva que cela ne coïncidait pas avec d’autres observations. Le fait que le cadavre ne présentait pas les morsures typiques de poisson et de crabe sur les parties molles du corps, et que la peau et même les chaussures ne présentaient pas la rugosité caractéristique de quelqu'un qui était dans l'eau depuis si longtemps. Cela indiquait plutôt un court séjour. L'uniforme ne présentait pas non plus l'aspect dégradé qu'il aurait du avoir. Les oreilles et sa peau étaient étrangement décolorées. 

 

Sur des corps qui ont été dans l'eau de mer pendant plus d'une semaine, les cheveux sur la tête deviennent ternes et cassants. La brillance des cheveux ne correspondait pas au temps qu'il aurait passé dans l'eau, et il y avait aussi, dans l'esprit de Fernández, un doute sur la nature du liquide dans les poumons de l'homme.

 

Par ailleurs, outre le rapport alarmant du légiste, selon les documents du major Martin, il avait volé depuis Londres à partir du 24 avril, et le corps a été récupéré dans les premières heures du 30 avril. L'état de décomposition du corps était tout simplement incompatible avec un corps immergé dans l'eau de mer froide pendant seulement un peu plus de cinq jours.


Si les Allemands avaient tenu compte de l’opinion du légiste sur les incohérences physiologiques et avaient comparé la date du décès à la date du départ figurant sur les documents, le stratagème aurait explosé. En revanche, l’exposition du corps sur la plage en plein soleil pendant plusieurs heures pouvait expliquer sa dégradation.

 

Si la ruse n’a pas été éventée c’est principalement grâce à la soif de renseignements spectaculaires qu’avaient les agents de l'Abwehr, Adolf Clauss, Karl-Erich Kühlenthal et leur acolyte espagnol, le colonel José López Barrón Cerruti, le chef de la police secrète espagnole, truffée d'espions et de sympathisants allemands.

 

Clin d’oeil de la providence, cette preuve de l’incohérence de dates figurait dans le portefeuille de Martin qui était, non parmi les objets de l’autopsie, mais en possession du capitaine Francisco Elvira Álvarez, commandant du port de Huelva et, meilleur ami de Ludwig Clauss, le vieux consul allemand, père de l’agent de l'Abwehr Adolf Clauss.      

Restitutions

Le corps a été rendu au consulat britannique par les Espagnols. Le "Major Martin", a été enterré dans la section San Marco de Nuestra Señora cimetière de Huelva, avec tous les honneurs militaires le dimanche 2 mai.

 

Quelques jours plus tard, une pierre tombale en marbre a été placée sur la tombe avec l'inscription horacienne "Dulce et decorum est pro patria mori" (Il est doux et honorable de mourir pour la patrie).

 

La marine espagnole avait conservé la mallette et, malgré la pression d'Adolf Clauss et des autres agents de l'Abwehr, ni elle ni son contenu n'avaient été remis aux Allemands par les autorités locales.

 

Le 5 mai, la mallette a été transmise au quartier général naval de San Fernando, près de Cadix, pour être expédiée à Madrid. 

 


Une fois la mallette arrivée à Madrid, son contenu est devenu le centre d'attention de Karl-Erich Kühlenthal, l'un des agents les plus expérimentés de l'Abwehr en Espagne. Il a demandé à l'amiral Wilhelm Canaris, le chef de l'Abwehr, d'intervenir personnellement et de persuader les Espagnols de communiquer les documents. 

 

Erich_Kühlenthal

Accédant à la demande, les Espagnols ont retiré le papier encore humide. 
Les lettres ont été séchées et photographiées, puis trempées dans l'eau salée pendant 24 heures avant d'être réinsérées dans leurs enveloppes pour restitution, mais sans le cil témoin qui y avait été caché. 

 

L'information a été transmise aux Allemands le 8 mai. Cela a été jugé si important par les agents de l'Abwehr en Espagne que Kühlenthal a personnellement apporté les documents en Allemagne.
 

 

Le 11 mai, la mallette, accompagnée des documents, a été renvoyée à Haselden par les autorités espagnoles. Haselden l'a transmis à Londres par la valise diplomatique.

 

 

mincemeatespagne

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Homme_qui_n%27a_jamais_existé

https://en.wikipedia.org/wiki/William_Martin_(Royal_Marine_officer)

https://en.wikipedia.org/wiki/Operation_Mincemeat

https://todayinhistory.blog/2018/04/30/april-30-1943-operation-mincemeat/

https://historywench.com/2015/09/15/mincemeat/

https://www.dailymail.co.uk/news/article-1243379/The-dead-tramp-won-war-A-new-book-reveals-astonishing-story-Man-Who-Never-Was.html

https://www.thesun.co.uk/news/9365200/operation-mincemeat-1943-invasion-of-sicily/

 

Le film réalisé par Ronald Neame et sorti en 1956 est basé sur l'opération Mincemeat et sur son témoignage écrit par Ewen Montagu sous le titre (en) (The Man Who Never Was) en 1953

 

https://www.warhistoryonline.com/world-war-ii/operation-mincemeat-allies-convinced-hitler-open-gates-sicily-mm.html

http://www.andhaluz.com/voyages-andalousie/fr/21-huelva

https://erasmusu.com/fr/erasmus-huelva/blog-erasmus/les-plages-de-huelva-799095

https://fr.versiontravel.com/les-plus-belles-plages-despagne-la-plage-despigon-de-huelva/

https://fichacorrida.wordpress.com/2012/08/28/espas-en-la-playa-la-increble-historia-del-hombre-que-nunca-existi/

https://www.civitatis.com/fr/huelva/balade-bateau-estuaire-huelva/

https://www.cicc-iccc.org/public/media/files/prod/banque_fichiers_events/519/Presentation-UQTR-AlyssaBlondon.pdf

http://williammartin75.com/adolf-clauss/

https://erenow.net/ww/operation-mincemeat/16.php

https://www.andalucia.org/fr/punta-umbria-soleil-et-plage-la-bota

https://puntaumbriahoy.com/playa-de-la-bota/

https://www.wikitree.com/wiki/Michael-892

https://www.diariodehuelva.es/2019/03/24/fallece-isabel-naylor-la-mujer-que-dejaba-flores-en-la-tumba-de-william-martin/

https://www.libertyship.be/news/l-operation-mincemeat/

 

Les troupes britanniques sur les rives de la Sicile, le 10 juillet 1943. Par Parnall, CH (Lt), photographe officiel de la Royal Navy - http://media.iwm.org.uk/iwm/mediaLib//30/media-30134/ large.jpg Voici la photographie A 17916 des collections des musées impériaux de la guerre., domaine public.

Troupes britanniques sur les rives de la Sicile, 10 juillet 1943.

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