Les illusions dans la guerre, 39-45, les mots croisés de Dawe

par Jean Marie Champeau 14 Septembre 2024, 02:00 guerre

 

39-45, Les mots croisés de Dawe

Les noms de code ultrasecrets dans les mots croisés du Daily Telegraph. 
les noms de code ultrasecrets

 

 

D’après vous, quelle est la probabilité que, sur une quarantaine de mots codes choisis pour une vaste opération secrète, 5 de ces codes se retrouvent dans les mots croisés du Daily Telegraph, dans l'Angleterre des années 1940 ?

 

Il y a peu de chance ? C’est ce que se sont dit les agents du MI5 de l’époque.


 

L’offensive militaire, préparée dans le plus grand secret en Angleterre par les états-majors anglais et américains, reçoit le nom de code d’Opération NEPTUNE, c’est le débarquement du 6 juin 1944.

 

Depuis plusieurs mois, le général américain Eisenhower et son homologue britannique Montgomery travaillent à la dissimulation du débarquement en Normandie.

 

Dans cette vaste entreprise d’intox, les noms de codes ont une importance capitale : anodins, inédits, incohérents, leur seule vocation est de ne pas éveiller les soupçons de l’ennemi(*1).

 

L'état-major allié avant le débarquement, avec au milieu le général Eisenhower. 
l'état-major allié avant le débarquement

En mai 1944, les mots croisés du quotidien britannique, The Daily Telegraph, affolent les services secrets. Le mot "UTAH" apparaît dans une grille le 2 mai, puis "OMAHA" le 22, et "OVERLORD" le 27. 

 

Les coïncidences s’enchaînent, le 30 mai 1944 "MULBERRY" et le 1er juin 1944 "NEPTUNE".

Autant de mots de code liés au Débarquement.

 

Emoi chez les militaires. Les grilles de mots croisés passent pour des boîtes aux lettres d'espions.

 

La semaine précédent le 6 juin 1944, l’état-major a failli annuler l’opération OVERLORD en pensant qu’elle avait été éventée. 

 

Une taupe utilise-t-elle ces jeux pour informer l'ennemi ?

 

On arrête l'auteur, Leonard Dawe, un paisible professeur qui conçoit à ses heures perdues des grilles de mots croisés dans le Daily Telegraph, on l'interroge, on le garde au frais. Ce Dawe était un professeur strict, d'une moralité rigide, connu pour ses talents de footballeur, et régulièrement brocardé pour sa manière de jouer des matchs en gardant ses lunettes sur le nez. 

 

Il avait contre lui d'avoir déjà casé le mot "Dieppe" en le définissant: «French port», quelques jours avant le raid allié sur cette ville qui fut un vrai désastre militaire(*2). Il avait expliqué que ses grilles étaient trop anciennes pour qu'il ait pu connaître les noms de code donnés aux plages du Débarquement, et fut libéré.

 

Le professeur est relâché, à nouveau, et la conclusion de l'époque fût qu'il s'agissait d'une étrange coïncidence.

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(*1) Pourquoi les plages du Débarquement ont-elles été baptisées ainsi ?

Opération Neptune du  6 juin 1944.
Opération Neptune 6 juin 1944

 

Si l’on regarde le plan des plages de débarquement, la zone est découpée en 5 grandes sections affectées à chaque pays allié. Chaque section comprend 4 à 8 secteurs nommés par ordre alphabétique.

 

Il fallait nommer les 5 zones de débarquement. Les deux sections les plus à l’ouest sont investies par les armées américaines.

 

Lors de la préparation des troupes alliées, le général américain Omar Bradley demande à deux sous-officiers les noms de leur ville et de leur État d’origine, OMAHA, une ville du Nebraska, et UTAH, l'un des 48 Etats du pays.

 

Côté britannique, pour les plages plus à l’est, le général Montgomery propose des noms de poissons Goldfish et Swordfish (poisson rouge et espadon). Raccourcis, ils deviennent GOLD Beach et SWORD Beach.

 

En revanche, pour la troisième plage, affectée au Canadiens, il suggère Jellyfish (méduse). Mais Jelly Beach, littéralement «la plage de la confiture», n’est pas très porteur, surtout si les gars s’y enlisent. L'officier canadien Dawnay lance alors le prénom de sa femme, Juno, qui donne donc JUNO Beach.

 

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(*2) 18 août 1942, nous sommes la veille du raid sur la ville de Dieppe, le journal diffuse ses mots croisés quotidiens avec comme indice pour trouver la solution « French port » soit un port français, la solution du mots croisés était belle et bien Dieppe, la veille de l’attaque.

De suite le War Office est alerté et suspecte le journal d’essayer de passer des messages aux lignes ennemies par leurs mots croisés.

 

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Une explication par l’illusion des séries

 

L’apparition de ces mots semblait bien être une coïncidence, favorisée par la grande quantité de mots codes puisés dans le langage courant, utilisés dans la terminologie du débarquement(*3) et véhiculés dans les conversations.

 

Daniel Kahneman et Amos Tversky, deux psychologues israéliens, ont expliqué ce genre de prédiction comme étant causé par la tendance à établir des liens entre des éléments semblables.

 
Cela s’explique essentiellement par la sous-estimation de la variabilité des évènements aléatoires et de leur indépendance.

 
Notre cerveau voudrait que le hasard soit plus étalé dans le temps et plus régulier qu'il ne l'est en réalité, c’est L’illusion des séries.

Image représentant l'illusion des série.
aller voir

 

 

Pour avoir plus de détails sur l’illusion des séries on peut aller voir l’article là. . .

 

C'est l'illusion des séries qui aurait fait que le MI-5 britannique a mené une enquête serrée auprès du journal The Daily Telegraph en 1944.


Pourtant, depuis la guerre, des amateurs de statistiques ont calculé que la probabilité de voir apparaître dans ces grilles les quatre ou cinq mots en question par le seul jeu du hasard était inférieure à une chance sur plusieurs millions.

 

En 1984, un dénommé Ronald French a raconté qu'à l'époque il avait 14 ans et était l'élève de Dawe, et que c'est lui qui avait suggéré à son professeur d'inclure ces mots dans des grilles, mots qu'il avait entendu prononcer par des hommes sans qu’ils sachent ce qu’ils signifiaient. 

 

La question reste donc que comment se fait-il que des mots codes réputés secrets aient circulé aussi facilement ?

 

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(*3) La bataille de Normandie dans son ensemble, porte le nom de code en anglais de Operation OVERLORD.

Plan d'attaque du débarquement en Normandie.
plan d'attaque du débarquement

 

La planification se déroule dans le plus grand secret. Tous les documents concernant l'opération sont marqués du mot "BIGOT" pour les classer secret. Ils ne peuvent être consultés que par des officiers figurant sur une liste nominative et tenus de n'en divulguer aucun détail.

 

Elle débute mardi 6 juin 1944, appelé D DAY, par le parachutage des premiers combattants à l'intérieur des terres, puis le débarquement lui même, l’opération NEPTUNE, par d'importantes forces d'infanterie sur les plages de l'ouest du Calvados et de l'est du Cotentin.

 

Son effet est renforcé par l’opération BAGRATION lancée le 22 juin par Staline sur le front de l'Est.

 

Pour leurrer les Allemands et les persuader d'un débarquement dans le Pas-de-Calais, voire d'un débarquement secondaire en Norvège, les Alliés mettent en place un large plan de désinformation appelé opération FORTITUDE. Une armée fictive est entièrement créée, le First US Army Group (FUSAG), "commandée" par le redouté général Patton.

 

Le 6 juin 1944, les péniches débarquent les hommes et les véhicules sur les cinq plages de Normandie, UTAH, OMAHA, GOLD, SWORD et JUNO.

 

Les parachutistes des divisions aéroportées britanniques sont largués dans l’opération TONGA.

La 101e division aéroportée américaine est parachutée autour de Vierville dans l’opération ALBANY.

La 82e division aéroportée américaine est parachutée autour de Sainte-Mère-Église, protégeant le flanc droit, opération BOSTON.

36 parachutistes français de la France libre du 4e bataillon du Special Air Service (SAS) sont parachutés sur deux zones différentes en Bretagne le soir du 5 juin dans les opérations DINGSON à Plumelec et opération SAMWEST à Duault.

 

Depuis la tentative ratée du débarquement de Dieppe, les alliés savent qu'il leur est impossible de prendre un port de manière frontale. En attendant de pouvoir en disposer, les Alliés vont mettre en place deux ports artificiels, les ports MULBERRY à Arromanches et à Saint-Laurent-sur-Mer, et dérouler un oléoduc sous-marin, PLUTO,

 

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Ouverture des archives

 

Des documents figurant dans des dossiers jusque-là secrets, remis en septembre 2006 aux Archives nationales britanniques par le MI6, le service de renseignement intérieur britannique, indiquent que dès 1927 les services de sécurité craignaient que le célèbre historien militaire, Basil Liddell Hart puisse être à l'origine de fuites de documents sensibles. 

 

Cette crainte culmina en 1944 lorsqu'il faillit compromettre le débarquement des Alliés en Normandie par une série d'indiscrétions.

 

Basil Liddell-Hart, décédé en 1970, était considéré comme le principal théoricien de l'arme blindée au Royaume-Uni dans l'entre-deux guerres. Ses idées auraient été ignorées par les alliés dans les années précédent la seconde guerre mondiale, il n’avait pas ménagé ses critiques sur la stratégie employée à l’époque. 

 

D'après ces documents, Liddell Hart avait découvert les détails du plan du débarquement, dont le nom de code était "opération OVERLORD", qui était censé n'être connu que d'une poignée de hauts responsables alliés, et s'était mis à en discuter librement à Londres

 

L'historien avait même rédigé une critique du plan, qu'il avait fait parvenir à des hommes politiques et des responsables militaires britanniques.

 

Le MI5 apprit que Liddell Hart était au courant de l'existence d'OVERLORD après que l'historien eut déclaré à un haut responsable du ministère de l'approvisionnement, Duncan Sandys, qu'il avait "de forts doutes" sur le plan du débarquement, lors d'un déjeuner le 10 mars 1944. Liddell Hart ne s'en tint pas là, remettant à son interlocuteur un exemplaire de sa critique d’OVERLORD.

 

Sandys rapporta la conversation à un conseiller militaire du premier ministre Winston Churchill, le général Hastings Ismay. Aussitôt informé des actions de Liddell Hart, Churchill s'indigna et demanda que l'historien soit poursuivi. Entre-temps, il était apparu que Liddell Hart avait aussi remis sa critique d’OVERLORD au travailliste Stafford Cripps, à Lord Beaverbrook, ancien ministre de Churchill, et à trois généraux américains.

 

Liddell Hart fut alors interrogé par le général Ismay et par un autre militaire, auxquels il affirma que seules ses propres déductions lui avaient permis de découvrir l'existence du plan et que personne ne l'en avait informé.

 

Le MI5 refusa toutefois de croire cette version et établit que la source la plus probable de la fuite était le général Tim Pile, responsable de la défense anti-aérienne.
Finalement, aucune sanction ne fut prise contre Liddell Hart ni contre le général Pile, mais l'historien fut placé sous surveillance, et tous ses appels téléphoniques et son courrier furent interceptés.

 

Bien que les services secrets aient déployé moultes ruses pour détecter les fuites(*4), les choses en restèrent là. . .

 

De toute façon, des moyens biens trop importants(*5) avaient été engagés pour reculer au dernier moment.

 

L’état major a dû prier pour ne pas avoir été victime du biais des coûts irrécupérables.

 

La suite leur prouva que non !

 

Image d'une faille illustrant le dilemme d'arrêter ou non, quand on a déjà beaucoup dépensé.
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Pour plus de détails sur le biais cognitif des coûts irrécupérables on peut aller voir l’article là. . .

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(*4) À la veille du Débarquement, les canons allemands installés à Merville, dans le Calvados, tiennent tête aux bombardements alliés. Or ces pièces d'artillerie menacent la plage de SWORD, où doivent aborder les Britanniques. L'état-major anglais met alors au point une opération périlleuse : des avions vont larguer sur Merville les parachutistes du 9e bataillon, dans la nuit du 5 au 6 juin. Ils devront neutraliser la batterie allemande avant le D-Day.

D'ici là, ces soldats ont pour consigne de taire leur mission, car les espions allemands pullulent en Angleterre. Afin de tester leur discrétion, l'officier qui commande l'unité mobilise trente jolies filles des forces auxiliaires de la Royal Air Force. Elles abordent les parachutistes pendant leur temps libre, dans les pubs des alentours, et tentent de leur délier la langue. Mais aucun d'entre eux ne tombera dans ce piège charmant! C'est d'autant plus méritoire qu'ils étaient tous célibataires. . .

 

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(*5) Un peu plus de 156.000 hommes ont été déployés sur les plages normandes lors du Débarquement allié du 6 juin 1944. Même si les troupes qui ont débarqué en Normandie étaient américaines, britanniques et canadiennes, douze nationalités en tout ont participé à l'opération, en prenant part au soutien naval et aérien.

 

L’opération a, en effet, également été assurée par des combattants venant de France, Tchécoslovaquie, de Grèce, des Pays-Bas, de Norvège, du Danemark, de Pologne, d'Australie, ou encore de Nouvelle-Zélande.

 

Ils sont 133.177 à arriver par la mer, dont 59.000 Américains, 54.000 Britanniques, 21.000 Canadiens et 177 Français, et 23.000 par air, dont 13.000 parachutistes américains et 10.000 Britanniques.

 

6. 939 navires de guerre sont engagés dans l'opération "Neptune", nom de code du Débarquement lui même, 1.213 bateaux de guerre (cuirassés, destroyers…), 736 navires de soutien, 864 cargos.

Seuls 4.126 bateaux et barges participent à la phase d'assaut proprement dite, répartis en 47 convois qui débarquent 20.000 véhicules et les 156.000 hommes

 

Au soir du D-Day, l'état-major américain estime que 10.600 ont été tués, blessés, ou sont disparus : 6.600 Américains, 3.000 Britanniques et 950 Canadiens. Un bilan humain lourd, mais moins que prévu, car les Alliés prévoyaient jusqu'à 25.000 victimes.

 

Pendant la seule journée du 6 juin, les 11.500 avions déployés par les forces alliées pour survoler les plages normandes larguent 11.912 tonnes de bombes sur les défenses allemandes, en appui des soldats débarquant par la mer.

 

Selon les démineurs du centre interdépartemental du déminage de Caen, il faudra au moins cinq siècles pour déminer toutes les bombes déversées lors de la Seconde guerre mondiale dans la Manche.

 

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Photos

Couverture

Le nom de code ultrasecret "Overlord" apparaît dans les mots croisés du Daily Telegraph".

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Les noms de code ultrasecrets dans les mots croisés du Daily Telegraph

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L'état-major allié avant le débarquement, avec au milieu le général Eisenhower

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Opération Neptune 6 juin 1944

Le Débarquement Du jour J à la libération de Paris, Richard Holmes, Ed GRUND

 

l’illusion des séries

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Plan d'attaque du débarquement en Normandie.

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Le biais des coûts irrécupérables

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