Les illusions, le paradoxe de Thésée

par Jean Marie Champeau 18 Septembre 2024, 02:00 curiosité logique

 

Le bateau de Thésée

Epave dans un cimetière à bateau.

 

 

Si on imagine un bateau dont toutes les parties sont remplacées progressivement.

Au bout d'un certain temps, le bateau ne contient plus aucune de ses parties d'origine. 

 

S'agit-il du même bateau ou d'un bateau différent ?

 

Le paradoxe

 

Le bateau de Thésée est une expérience de pensée philosophique concernant la notion d'identité. 

 

Ce paradoxe est une illustration d'un problème philosophique plus général : un objet dont tous les composants sont remplacés par d'autres reste-t-il le même objet ? 
D'autres illustrations en existent, comme celle du "couteau de saint Hubert" appelé aussi "couteau de Jeannot"(*1).

 

L'expérience du bateau de Thésée est utilisée depuis l'Antiquité et a été reprise par de nombreux philosophes à l'époque moderne. Elle tire son nom du héros grec Thésée. Selon la légende, son bateau aurait été réparé un grand nombre de fois, au point de ne plus avoir une seule pièce d'origine.

 

Deux points de vue s'opposèrent alors, comme le relate Plutarque : les uns disaient que ce bateau était le même, les autres que l'entretien en avait fait un tout autre bateau.

 

«Le navire à trente rames sur lequel Thésée s’était embarqué avec les jeunes enfants, et qui le ramena heureusement à Athènes, fut conservé par les Athéniens jusqu’au temps de Démétrius de Phalère. Ils en ôtaient les pièces de bois, à mesure qu’elles vieillissaient, et ils les remplaçaient par des pièces neuves, solidement enchâssées. Aussi les philosophes, dans leurs disputes sur la nature des choses qui s’augmentent, citent-ils ce navire comme un exemple de doute, et soutiennent-ils, les uns qu’il reste le même, les autres qu’il ne reste pas le même.»

 

Le problème est de savoir si le changement de matière implique un changement d'identité, si l'identité serait conservée par la forme, ou encore d'une autre façon.

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(*1) Selon la légende, à force d'utiliser son couteau, Saint Hubert dut en changer la lame, puis le manche, si bien qu'à la fin il ne restait aucun élément du couteau d'origine. Poser la question « est-ce encore le couteau de Saint Hubert ? » revient à aborder le paradoxe autour de la notion d'identité en philosophie.

 

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Bien que son raisonnement y soit différent, ce paradoxe est proche dans son principe au paradoxe sorite qui consiste à se demander, au contraire, à partir de quel moment peut-on appeler tas un ensemble auquel on ajoute progressivement des éléments.

Une dune pour illustrer le paradoxe, quand appelle-ton un tas si on ajoute progressivement des morceaux.
aller voir


Pour plus de détail sur le paradoxe sorite, on peut aller voir l’article là. . .

 

LA Question

 

Jusqu'ou reste-on un homme ou devient-on humanoïde?
homme ou humanoïde?


Sous ses dehors ludiques, le paradoxe du bateau de Thésée ouvre une question encore plus existentielle, et comme le dit Annick Drogou dans son article de 2017 (Humanisme N°316), c’est une métaphore du transhumanisme.


L’histoire du bateau de Thésée est un paradoxe de remplacement. Si toutes les parties d’un objet sont remplacées, s’agit-il toujours du même objet ?(*2) 

 

Ce paradoxe peut aussi s’appliquer à nous, aux gens : sommes-nous toujours les mêmes si notre physique change ? Et si notre personnalité change ?


Le propos transhumaniste s’ancre dans l’innovation apparemment infinie des technologies qui seraient à même de résoudre toutes les insuffisances du corps. Mais, par sa revendication à une forme inédite d’immortalité, qui pose la négation implicite de la mort, ne remet-il pas en cause la conception même de l’humanité dans l’Homme.

 

D’où la question fondamentale : jusqu’où aller dans la réparation, la transformation et "l’augmentation" de l’humain sans qu’il y perde son humanité ? Et en quoi consiste-t-elle ?

 

Il est tout à fait possible de remplacer plusieurs organes, via des greffes, mais il est pour l’instant impossible de remplacer l’intégralité du corps. Il est donc entendu que la personne reste la même, et  il semble y avoir un consensus sur le fait que les gens sont leur cerveau.

 

Cependant, un problème demeure. A mesure que la science progresse, nous nous rapprochons du point où le cerveau pourra être considéré comme un simple organe pouvant donc aussi être remplacé. Que se passerait-il alors, si nous pouvions techniquement transférer nos pensées, nos souvenirs et notre façon de penser à un autre "cerveau" ou à un système qui se comporte comme lui. 

 

Serions-nous toujours la même personne ?

 

La question est d’importance : jusqu’où peut-on s’avancer ? Dans ce bateau de Thésée, dont il ne resta bientôt aucun élément d’origine, doit-on voir encore le bateau du héros ou un tout autre bateau ? 

 

Le changement de matière implique-t-il dès lors un changement d’identité ou bien l’identité est-elle conservée hors de la matière ?

 

Pour l’homme "augmenté", le problème se pose dans des termes similaires, l’homme transformé par la technologie reste-t-il humain ? 

 

Ainsi, plus grave est la question du rapport de l’homme à ce qui l’entoure, à la société dont il est, qu’il le veuille ou non, un des tenants. Or le projet transhumaniste est essentiellement individualiste, en ce qu’il revendique la liberté absolue d’être "augmenté", pour l’individu qui le désire.

 

Se libérer de la servitude du corps, certes. Mais pour quelle autre servitude ?

 

Prétendre améliorer constamment le corps et en augmenter les performances contribue à brouiller les repères de l’âge, des générations, de sa propre place dans un équilibre mental et social. 


«L’homme qui vivra mille ans est déjà né…»

 

Ainsi, si cette affirmation de Laurent Alexandre, grand prêtre du transhumanisme, est vraie, elle ouvre la question : de quel homme s’agira-t-il ?. 

 

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(*2) Le philosophe Thomas Hobbes est allé plus loin dans ce paradoxe en déclarant que si chaque morceau de bois remplacé du navire était conservé, ainsi, lorsque toutes les pièces ont été remplacées, un nouveau bateau pourrait être construit avec les anciennes pièces. À partir de cette histoire, Hobbes a posé les questions suivantes : lequel de ces deux navires est le vrai bateau de Thésée ? Celui qui a été fait avec le matériau d’origine, ou l’autre ?

 

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