Les illusions, les mensonges des statistiques

par Jean Marie Champeau 22 Novembre 2024, 03:00 curiosité dans les écrits

 

Les mensonges des statistiques

Un accident représenté par deux véhicules en Légo.
accident

 

«40 % des accidents sont provoqués par l'alcool. Ca veut dire que 60 % des accidents sont provoqués par des buveurs d'eau. C'est énorme!» 


Beaucoup d’entre nous ont entendu cette blague. Si le retournement de la statistique évoquée fleure bon la gentille manipulation, la manœuvre illustre bien le fait qu’on peut faire dire ce que l’on veut à une statistique.


La plupart des gens, y compris des experts, ont une idée déformée de la proportionnalité. Les erreurs d’estimation d’une progression proviennent du fait qu’on additionne des pourcentages qui ne sont pas des parties de la même quantité de départ mais d’une quantité qui, elle-même, varie.


Par exemple beaucoup sont persuadés, à tort :

 

- Qu’une quantité, qui augmente de 80% puis diminue de 80%, n’aurait pas changé ! C’est totalement faux : la quantité initiale a diminué de 64% ! Il faut faire un effort de réflexion pour le comprendre.

Prenons :

 

100 + 80 % = 180
80 % de 180 = 144
180 – 144 =  36,
c’est à dire une diminution de 64 % (100 – 36)


- Qu’une quantité, qui augmente de 80% puis encore de 80%, aurait finalement augmenté de 160%. C’est faux : la quantité a augmenté de 224% !

 

100 + 80 % = 180
80 % de 180 = 144
180 + 144  = 324  
 (100 + 224)

 

- Qu’une quantité qui augmente dix fois de suite de 80% aura finalement augmenté de 800%. On devine que c’est évidemment faux. Elle a augmenté de plus de 35000% !!!!

 

100 + 80 % = 180    (1)
 180 x 1,8 = 324    (2)
 324 x 1,8 = 583    (3)
 583 x 1,8 = 1049    (4)
1049 x 1,8 = 1889    (5)
1889 x 1,8 = 3401    (6)
3401 x 1,8 = 6122    (7)
6122 x 1,8 = 11019    (8)
11019 x 1,8 = 19835    (9)
19835 x 1,8 = 35704   (10)


Le truc
Une diminution qui augmente. Une courbe qui baisse et l'histogramme qui augmente.
Une diminution qui augmente

 

C’est exactement le "truc", parce que c'est un truc, qui est utilisé dans le calcul des impôts avec l’utilisation de la base de calcul, l’assiette sur laquelle on applique le taux d’imposition.


Imaginons que ministre des finances et pour me faire mousser je vais vous diminuer les impôts de 30 %

 

En partant d’un taux d’imposition, par exemple, de 15 % sur une assiette de 100, j’engage une grande réforme de l’impôt et je passe le taux d’imposition à 10 %, c’est à dire 30 % de diminution.

 

Comme il faut bien vivre avec son temps, il faut réactualiser la valeur locative que représente l’assiette. En ces années de forte inflation, et comme ça fait des années que la valeur locative a été maintenue, il faut la réactualiser, bla bla bla. . . elle passe à 150.  

Faisons le calcul du nouvel impôt :


150 x 10 % = 15

 

Quel était le montant de l’impôt avant, la réforme ?

 

On observera que les mots soulignés sont porteurs de positivité. Mais cette positivité ne se traduit pas toujours dans les faits. Autant on parle d’augmentation pour les salaires, pour les taxes et autres joyeusetés on parlera de revalorisation, d’élargissement ou mieux de réactualisation et on s’appuiera sur l’assiette représentée par la valeur locative. 

 

Ah, la valeur locative ! Voilà un levier qu’il est bien ! 


Vous ne me croyez pas ?

 

Bon, autre exemple, vous savez ce qu’est la notion de surface habitable, en gros c’est la surface d’une habitation à l’intérieur des murs. Pourquoi pas les murs ? Parce qu’il faut additionner les surfaces de plancher des différents niveaux.
C’est cette surface totale qui sert d’assiette au calcul de la taxe.

 

Maintenant, imaginons (pas trop fort ça pourrait donner des idées à certains) que pour les résidences de plain pied on dise simplement que l’assiette est la surface couverte. Les bonnes âmes viendraient nous expliquer que c’est normal puisque c’est la surface sous laquelle on est abrité(*1)

 

Un toit qui déborde un peu, et votre surface de 100 m² passe à 120 m² et pour peu que vous ayez un toit de terrasse ou une pergola on est à 150 m², c’est à dire une augmentation de 50 % de l’assiette.


Si vous maintenez le taux de taxe (le taux n’augmente pas promis!), le résultat suivra le même chemin que l’assiette.

- - -

 

(*1) Et les mecs de tendance écolo-anti-riche expliqueraient que la grandeur de l’emprise au sol c’est d’abord les riches qui s’étalent et que ça prend de la place sur la planète.

 

- - -

 

Les statistiques

 présentation des statistiques.
présentation des statistiques

 

Si vous pensez que les mots sont utiles pour mentir, vous vous foutez le doigt dans l’oeil jusqu’au coude. Rien ne vaut les chiffres. Chaque jour, on se fait blouser, abuser, arnaquer et manipuler par les chiffres. 

 

Que cela soit dans la presse, de la part du gouvernement ou lors d’une conférence professionnelle, les situations sont fréquentes et elles ont toutes un point commun : celui qui émet le chiffre veut faire passer un message.

 

Les statistiques ont des effets sociaux, et à ce titre on peut dire qu’elles "font de la politique". On a assisté pendant les années 2000 à une vague très forte de dénonciation de la "quantophrénie"(*2), adressées aux puissants, politiques ou médiatiques. 

 

La plupart de nos concitoyens a compris que le coup de l’assiette induit une "manipulation à la source", par le choix de ce qu’on y met.


Qu’il s’agisse des statistiques sur la délinquance, des violences sexuelles, ou de tout autre sujet, tout dépend de ce qu’on recense, ce qui fit dire au sociologue Pierre Demonque(*3), une boutade sous la forme d’un théorème, à propos des statistiques sur la délinquance : «Sur une courte période, les statistiques de la délinquance varient en proportion inverse de la popularité du Ministre de l’Intérieur auprès des agents chargés de la collation des faits». 

- - -

 

(*2) Le terme amusant de "quantophrénie", que l’on doit au sociologue Sorokin, est une déformation de la pensée qui consiste à aborder les phénomènes sociaux à partir de leur numération... Malheureusement, le comptage et la numération procèdent souvent d’une fausse rigueur qui n’a rien de scientifique..

 

- - -

 

(*3) Pseudonyme de Dominique Monjardet, sociologue derrière lequel il choisit de s’abriter parce qu’il menait au même moment une enquête sur les relevés des statistiques dans la police…

 

- - -

 

Comment mentir avec des statistiques

 

Le produit approuvé par 90 % des utilisateurs

A moins de vendre une merde immonde, le produit sera approuvé de facto par l’immense majorité des utilisateurs, ceci si l’on considère que l’enquête est basée sur le nombre de réclamations. 

 

Que vaut l’enquête si elle est basée sur un sondage des clients ? Achèteriez-vous un produit si vous n’étiez pas un peu convaincu de sa qualité ? 

 

Et si vous vous êtes planté, allez-vous le crier au premier venu ? 


Et si vous le faites, va-t-on prendre en compte votre avis ?


Bref facile. 

 

Omettre les données qui nous gênent

 Le plus commode. 

 

Je veux montrer que j’ai atteint l’objectif de chiffre d’affaires que l’on m’a fixé. Je montre le chiffre d’affaires total et j’omets les dépenses supplémentaires à la normale qui ont été nécessaires pour l’atteindre. Celui qui ne vérifie que la formule de calcul n’y verra que du feu.

 

Choisir la formule qui avantage 

moyenne, médiane, mode : le choix ne manque pas.

 

Changer de formule lorsque le vent tourne

Une combinaison des points précédents. 

 

Le marché baisse ? Modifions la formule pour lisser les variations à la baisse, mais ne vous inquiétez pas, nous changerons la formule lorsque le marché repart à la hausse pour en amplifier le mouvement.

 

À l’exemple de ceux qui nous bassinent avec le climat(*3) et parler réchauffement, on insiste sur les températures du jour au dessus de la normale et quand les températures sont largement en dessous de la normale de saison on nous explique que c’est quand même au dessus en prenant plusieurs années à partir de . . . bien sûr postérieures à des périodes qui connurent des températures sibériennes.   

 

Changer de données

Si modifier la formule ne suffit pas, nous modifierons aussi l’échantillon. Nous trouverons un critère, peu importe lequel, pour exclure les données qui ne nous avantagent pas. 

 

Par exemple pour un calcul d’un indice à la consommation, je peux décider de sortir le coût du logement parce que je décide que le logement ne se consomme pas, ou ramener les prix des ordinateurs, à puissance égale, sous prétexte que les nouveaux modèles sont plus puissants. On appelle ça “chercher la clé au pied du réverbère”.

 

C'est pas possible pour des pays aussi évolués que nous ?

Indice des prix
aller voir

 

Allez donc faire un tour sur l’article qui est consacré au calcul de l’indice des prix en France là. . .

Faire un sondage

C’est la Rolls de la manipulation. 

Vous maitrisez la formule et les données. Le top ! Qu’est-ce qu’il a commandé le client déjà ?

 

Jouer avec les échelles

C’est magique. 

Vous voulez montrer que les salaires dans la fonction publique sont maitrisés et que les dépenses sont stables ?


Prenez une échelle qui part de 0 et les dépenses mensuelles (en millions d’euros) sur 2 ans et vous aurez une petite courbe qui oscille légèrement.

 

Vous voulez montrer que les salaires progressent ou que les dépenses explosent ?


Prenez les dépenses mensuelles sur 10 ans et choisissez comme point de départ le premier montant identifié et vous aurez une courbe à la croissance impressionnante.

Effet d’échelle. Graphique présentant deux courbes dont les échelles sont différentes.
Effet d’échelle

 

Si vous superposez sur un même graphique deux courbes ayant des échelles différentes il se peut que la série qui croît le plus vite semble moins pentue que l’autre. Vous pourrez ainsi égarer le jugement du lecteur.

 

Par exemple sur ce graphique, l’échelle de gauche est relative à la série 2, l’échelle de droite à la série 1. La série 2 croît plus vite (de 100 à 107)  que la série 1(de 500 à 506), mais c’est l’inverse qui apparaît.

 

Inverser la tendance
Inverser la tendance en prenant le point bas du début et le point haut vers la fin de la courbe.


Malgré ses ondulations, il est clair que la courbe en traits fins a tendance à descendre :

 

Voulez-vous faire croire qu'elle monte ? 

 

Il suffit de prendre un point bas au début, un point haut vers la fin, puis de dire "la croissance entre janvier et Aout a été de x %"

 

Ce sera vrai et cela vous permettra de donner une impression fausse.

- - -

 

(*3) On observera qu’à ce propos, seuls les personnages non-experts, comme les médias, parlent et écrivent " réchauffement climatique", les experts, eux, plus prudents, se contentent de parler de "dérèglement", c’est plus neutre et ça ne mange pas de pain et, en plus, ça permet d’être valable qu’on soit au dessus ou au dessous de la normale. Petit bémol quand même, s’il y a dérèglement, il y a une règle, c’est quoi la règle et qui le définit ?

- - -

 

 

Des exemples réels ?

 

Dans le chapitre des exemples de mensonges volontaires ou non, on peut voir deux catégories :

 

- Les petits mensonges, qui concernent les organisations privées et dont les effets restent limités au domaine dans lequel ils sont exprimés, ce qui ne les rends plus inoffensifs.

aller voir


On en voit quelques exemples là. . .


 

 

 


- Les gros mensonges qui concernent carrément les états, oui, il y en a ! Pour certains c'est même de l’escroquerie mais. . .

aller voir

 

Ils sont là. . .
 

 

Pour un usage pertinent de la statistique

 

Ça me fait penser à une blague à propos des statistiques qui illustre bien le problème auquel elles sont soumises.

 

Dans le but de réduire les coûts des rames de chemin de fer, on souhaite ne garder que les modèles de wagon qui ont la faveur des voyageurs. Un technocrate fait une statistique sur le nombre de voyageurs par type de voiture. Il s’avère qu’il faut supprimer la première voiture de chaque train, puisqu’elle ne transporte qu’un seul voyageur. La locomotive !

 

Les statistiques ne sont pas néfastes, elles ne sont pas inutiles non plus, il faut seulement les interpréter avec toute la sagesse nécessaire. 

 

Cependant certains, notamment les hommes politiques, savent utiliser les nombres avec un mélange caractéristique de maladresse et de rouerie car le chiffre, à la fois péremptoire et fade, usurpe la place de l’argumentation. Il laisse sans réplique et interdit le dialogue.

 

 

 

mensongesstatistiques

mensongesstatistique

mensongestatistiques

mensongestatistique

 

Photos
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
commentaires

Haut de page