Les illusions dans la vie courante, l'illusion du masque de fer

par Jean Marie Champeau 10 Janvier 2025, 03:00 vie courante

 

L’illusion du masque de fer

Extrait du manuscrit, fait pour le Ministre Malesherbes au 18e siècle, sur une page du registre d'écrou de la Bastille.
une page du registre d'écrou de la Bastille

 

 

Sur une page du registre d'écrou de l’ancienne prison parisienne de la Bastille on lit(*1)

 

"C’est le fameux homme au masque"

 

Sous le numéro 5 : "Ancien Prisonnier de Pignerol, obligé de porter toujours un masque de velours noir dont on n'a jamais su le nom ni ses qualités". Date d'entrée : 18 7bre 1698 à 3 heures après-midi : mort le 19 9bre 1703. . .


Ce prisonnier, appelé ici "l’homme au masque", a fait sa première apparition publique sur l'île Sainte-Marguerite le 30 avril 1687.

 

La même année, une gazette locale relate l’événement de son arrivée : 

 

"Monsieur de Saint-Mars a transporté, par ordre du Roi, un prisonnier d'État de Pignerol aux îles Sainte-Marguerite. Personne ne sait qui il est ; il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s'il le prononce. Il était enfermé dans une chaise à porteurs, ayant un masque d'acier sur le visage et tout ce qu'on a pu savoir de Saint-Mars était que ce prisonnier était depuis de longues années à Pignerol et que tous les gens que le public croit morts ne le sont pas."

 

L'affaire commença à prendre de l'ampleur à l'arrivée d'un prisonnier à la Bastille le 18 septembre 1698. Le prisonnier masqué de la Bastille y mourut le 19 novembre 1703 au terme d'une longue captivité. Il aurait été enterré dans le cimetière de l'église Saint-Paul sous le nom de Marchioly ou Marchialy et avec une fausse indication d'âge.

 

Sur cette base, l'histoire a été considérablement amplifiée, la légende y a ajouté force détails, et la politique s'en est emparée.


Le grand public, a pris connaissance de l’affaire 50 ans plus tard, en 1751 dans la publication "Le Siècle de Louis XIV", où Voltaire raconte que le marquis de Louvois avait rendu visite à un mystérieux prisonnier dans sa cellule de la citadelle de l’île Sainte-Marguerite, au large de Cannes et s’était entretenu avec lui, debout, «avec une considération qui tenait du respect».

 

Dans son ouvrage, Voltaire suit la piste d’un frère aîné de Louis XIV, enfant adultérin d’Anne d’Autriche que l’on aurait caché parce qu’il remettait en cause la légitimité des Bourbons

 

Le livre est un succès et l’affaire de "l’homme au masque de fer" enflamme les discussions de salon.

 

Depuis sa révélation au grand public par Voltaire, l’énigme n’a cessé de passionner et "l’homme au masque de fer" devint l’un des prisonniers les plus célèbres de France.


En réalité, des rumeurs avaient commencé à se répandre, dès la fin du 17e siècle, alors que l’homme au masque était toujours en vie. À l’époque, on pensait notamment qu’il s’agissait du duc de Beaufort.

 

Au fil des siècles, des fantasmes et des révolutions, le Masque de fer sera démasqué une bonne soixantaine de fois. On a parlé, outre du frère jumeau de Louis XIV, du comte Mattioli, du comte de Vermandois, de Nicolas Fouquet, d’Henri II de Guise, de Molière et même de d’Artagnan.

 

L’histoire de "l’homme au masque de fer" a inspiré de nombreux artistes, du romancier Alexandre Dumas aux cinéastes d’Hollywood, et interrogés bien des chercheurs. 

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(*1) Extrait du manuscrit, fait pour le Ministre Malesherbes au 18e siècle, sur une page du registre d'écrou de la Bastille.(source : Musée de la Mer)

 

Sous le numéro 5 "Prisonnier au masque de fer" : "Ancien Prisonnier de Pignerol, obligé de porter toujours un masque de velours noir dont on n'a jamais su le nom ni ses qualités". Date d'entrée : 18 septembre 1698 à 3 heures après-midi : mort le 1er novembre 1703.

 

Motif de la détention ... "On l'a jamais scû".

Observations : "Cest le fameux homme au Masque que jamais personne, n'a jamais scû ni connû. Mort le 1 9bre 1703. Agé de 45 ans ou environs, enterré à St Paul le lendemain à 4 heures après midy, sous le nom de Marchiali, en présence de M. Rosarges Major dudit château et M. Reilhe Chirurgien Major de la Bastille qui ont signés sur les registres mortuaires de Saint Paul. Son enterrement a couté 40 livres. Ce Prisonnier a resté à la Bastille cinq années et soixante et deux jours non compris celuy de son enterrement".

 

Une longue note précise : "Ce prisonnier a esté ammener à la Bastille, par Mr.de Saint Mars dans sa litierre lorsqil est venû prendre possession du Gouvernement de la Bastille venant de son Gouvernement des Iles de Sainte Margueritte et Honnorat et quil avoit cydevant à Pignerol. Ce Prisonnier estoit traités avec une grande distingtion de M. le Gouverneur et n'étoit vû que de luy et de M. Rosarges Major dudit Château, qui seul en avoit soin [...)

 

Mort comme subitement, il a été enseveli dans un linceuil de toile neuve et généralement tout ce qui s'est trouvés dans sa chambre a esté brulés, comme son lit tout entier y compris les matelas, tables, chaises, et autres ustancilles reduis en poudres et en cendres, et jettés dans les latrines, le reste a esté fondu comme argenterie, cuivre ou étain.

 

Ce Prisonnier estoit logés à la troisième chamble de la Tour Bertodierre laquelle chambre a esté regrattés et piqués jusqu'au vif dans la pierre, et blanchie de neuf de bout a fonds, les portes chassis et dormant des fenêtres ont esté brusles comme le reste. Il est à remarquer que le nom de Marchiali que lon lui a donnes sur le registre mortuaire de Saint Paul, on y trouve lettre pour lettre ces deux mots l'un latin, et l'autre françois : hic amiral : C'est l'amiral".

 

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Démêlé de l’affaire

 

Tout d’abord voyons la chronologie des événements.

 

L’histoire du masque de fer commence à Pignerol, au coeur des Alpes italiennes, dans la région du Piémont. La cité est alors française. 

 

Au sommet de la cité, plantée sur la colline, une sombre forteresse aux cinq tours rondes domine la ville. C’est la prison de Pignerol, gouvernée par Bénigne Dauvergne de Saint-Mars.

 

C’est là qu’est enfermé depuis 1664, Nicolas Fouquet(*2), l’ancien intendant des Finances de Louis XIV, accusé de malversations. 



Et c’est là aussi que le 21 août 1669, un homme arrêté à Calais est mis au secret sur ordre du roi, c’est-à-dire qu’il est emprisonné sans jugement. Il est conduit jusqu’à Pignerol où il a été remis à Monsieur de Saint-Mars avec de curieuses instructions de Louvois, secrétaire d’État à la Guerre de Louis XIV : 

 

Il lui est dit :

 

 «Vous devez construire un cachot où personne ne pourra entendre ce que cet homme pourra dire ou crier, ne jamais écouter vous-même ce qu’il voudra vous dire en le menaçant de le faire mourir s’il ouvre la bouche». 

 

C’était un prisonnier dont on avait intérêt à ne montrer ni le visage ni les mains, qui devaient être gantées même au mois d’août, et que son geôlier, Saint-Mars, traitait avec beaucoup d’égards et qui était l’objet des plus grandes attentions de Louvois

 
Il est aussi précisé qu’il faudra préparer les meubles nécessaires à ce misérable mais que, comme ce n’est qu’un valet, il ne lui en faudra pas de considérables.

 

Il débarque sur l’île, on l’empoigne et le voilà dans sa cellule, à l’à-pic de la falaise. Mais ce prisonnier est privilégié par rapport à ses codétenus : lui, a droit à du linge fin et de la vaisselle d’argent. 

 

C’est Saint-Mars lui-même qui s’occupe de faire manger son prisonnier.

La citadelle de Pignerol vers 1650.
la citadelle de Pignerol vers 1650

 

Pendant douze ans, le mystérieux détenu reste enfermé à Pignerol.

 

Aujourd’hui, les historiens n’ont plus aucun doute sur son identité, étonnamment, il s’agirait d’un simple valet nommé Eustache Dangers(*3). 

 

Les comptes de la prison de Pignerol, premier lieu de détention de "l’homme au masque de fer", témoignent des dépenses le concernant les prisonniers de marque de Monsieur de Saint-Mars, car il n’est pas le seul. Pour l’homme au masque, on dépense 50 livres par mois alors que c’est 500 livres pour Fouquet et 600 pour Lauzun(*4).

 

Fouquet décédé en 1680 et Lauzun à peine libéré pour avoir cédé une partie de ses biens au bâtard légitimé de Louis XIV, Saint-Mars vient d’être nommé, en octobre 1681, à la prison d’Exilles, dans le Dauphiné. Le prisonnier dont on ne sait rien fait partie des bagages.


Les années passant, le temps a fait son œuvre, le secret du Masque de fer a perdu de son importance. Ses conditions de détention ont alors été un peu allégées. Mais, sans doute parce qu’il donnait encore quelque importance à Monsieur de Saint-Mars qui, Fouquet mort et Lauzun libéré, n’avait plus d’autres prestigieux détenus à garder.

 

En avril 1687, Saint-Mars obtient enfin sa mutation. Avec son fidèle prisonnier, il prend la direction des îles du Lérins, sur la Côte d’Azur. Quel contraste avec la sinistre citadelle d’Exilles

 

Depuis la baie de Cannes, on peut voir le fort qui fait office de prison royale. À 26 mètres d'altitude, il surplombe une falaise rocheuse sur l’île Sainte-Marguerite.

 

Dans les gazettes, on dit que Monsieur de Saint-Mars a transporté, par ordre du roi, un prisonnier d’état, aux îles Sainte-Marguerite. Personne ne sait qui il est. Il y a défense de dire son nom et ordre de le tuer s’il le prononce. Cet homme était enfermé dans une chaise à porteur, ayant un masque d’acier sur le visage. 

 

Ses geôliers s’inquiètent de son bien-être : il faut s’assurer que tout va bien pour lui. Il ne se plaint jamais. Il passe ses journées à jouer de la musique et à lire. Pourtant un jour, dans un moment de désespoir, il griffonne un message au dos d’une assiette qu’il jette par la fenêtre. Un pauvre pêcheur la trouve et la ramène au gouverneur de la prison. 

 

Saint-Mars voit rouge, il croit que le pêcheur a découvert l’identité de son précieux prisonnier. Mais le pauvre homme déclare qu’il ne sait pas lire : tant mieux pour lui, il vient de sauver sa tête.

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(*2) Nicolas Fouquet. Le Surintendant des finances de Louis XIV est reconnu coupable de détournements de fonds mais il a surtout déclenché la jalousie du jeune roi au cours de fêtes mémorables dans son trop somptueux château de Vaux-le-Vicomte. Condamné au bannissement par la justice, il est emprisonné à vie sur ordre de Louis XIV à Pignerol, là où commence l’histoire du masque de fer. Il y meurt en 1680 à l’âge de 65 ans.

 

Mais souvenez-vous que Saint-Mars a affirmé que tous les gens que le public croit morts ne le sont pas… Il suffit d’un ragot pour faire naître une légende, et celle de Fouquet en masque de fer est tentante. Mais en 1703 quand le masque de fer meurt, Fouquet aurait eu près de 89 ans. Et pourquoi masquer Fouquet

 

Emprisonné à Pignerol, l’ancien surintendant n’est pas traité comme un vulgaire voleur : il a des valets à son service.

 

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(*3) Eustache Dangers, qu’ont peut orthographier D’Angers comme s’il était de noble ascendance, et comme l'orthographie Louvois dans une de ses lettres, ou bien Dangers comme s’il représentait plusieurs dangers pour la couronne.

Ce genre de jeu de mot, très prisé à l’époque, ne serait pas étonnant.

 

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(*4) Antonin Nompar de Caumont, premier duc de Lauzun (1692), comte de Saint-Fargeau, né en mai 1633 à Lauzun (Lot-et-Garonne) et mort le 19 novembre 1723, était capitaine des gardes du corps du Roi et colonel général.

 

Il était également l'époux morganatique de la petite-fille de France Anne-Marie-Louise d'Orléans, dite la Grande Mademoiselle, cousine de Louis XIV.

 

Le 25 novembre 1671, Lauzun est arrêté dans sa chambre du château de Saint-Germain sur ordre du roi. Les historiens ne sont pas certains des raisons de son arrestation : soit parce qu’il avait épousé secrètement Mlle de Montpensier, soit sur l’intervention de Mme de Montespan sur qui il avait tenu des propos outrageants.

 

Il est alors conduit et emprisonné à Pignerol. Là, il retrouve Nicolas Fouquet, sous la garde de Bénigne Dauvergne de Saint-Mars. Il y demeure jusqu’en 1681.

 

Mlle de Montpensier obtient sa libération contre la promesse de céder au duc du Maine, bâtard légitimé de Louis XIV, le comté d’Eu et la principauté de Dombes.

 

En 1692, il est nommé duc de Lauzun. Il s’éteint à 91 ans, sans descendance, le 19 novembre 1723 dans sa propriété connue sous le nom d'hôtel de Lamballe à Passy, situé dans l’actuel 16e arrondissement de Paris.

 

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Paris

 

Le château de Palteau, à Armeau dans l’Yonne.
Le château de Palteau

 

En septembre 1698, Saint-Mars est nommé gouverneur de la Bastille


C’est l’avènement de sa carrière. Enfin la capitale ! Enfin, la proximité du roi et de la cour ! 

 

Son mystérieux prisonnier le suit dans le plus grand secret. À l’automne 1698, l’équipage fait halte au château de Palteau, à Armeau dans l’Yonne, dont Saint-Mars était propriétaire du domaine, pour y passer la nuit.

 

Ici, sur ses terres, Mr de Saint-Mars à redoublé de vigilance. Il n’a, pour ainsi dire, pas quitté l’homme au masque. Il dînait en tête à tête avec son prisonnier une paire de pistolet à porté de main et couchait dans la même chambre que lui(*5).    

 

Vue de la Bastille et de la porte Saint-Antoine, par Israël Silvestre 1650.
la Bastille par Israël Silvestre


Le prisonnier arrive masqué à la Bastille le 18 septembre 1698. 

 

Saint-Mars fait d’abord enfermer son prisonnier près du pont-levis. Puis la nuit venue, il lui fait quitter sa cellule. L’homme au masque de fer grimpe trois étages avant d’être enfermé dans une cellule aménagée exprès pour lui. 

 

C’est une des moins insalubres de la Bastille, rien à voir avec celles au sol de terre battue infestée de rats qui vous dévorent. Ici, il y a des briques par terre et des meubles : une table, une chaise de paille, un lit avec matelas, deux couvertures et des draps blancs.

 

L’homme au masque de fer a aussi à sa disposition une fourchette, une cuillère, une salière, une cruche, un verre, un chandelier, un pot de chambre et quelques chandelles. C’est ce maigre mobilier qui fera désormais son quotidien. 

 

Cinq années de solitude commencent pour l’inconnu masqué. Ce seront les cinq dernières années de sa vie. 

 

En novembre 1703, en sortant de la messe, le prisonnier a été pris d’un malaise. Il décèdera quelques heures après.

 

Ce prisonnier, que l’on enterre aujourd’hui, on l’appelle l’homme au masque de fer. L’aumônier l’a confessé : au seuil de la mort, lui a-t-il avoué son identité ?

 

Le célèbre prisonnier est enterré sous le nom de Marchioly. On le dit âgé d’environ 45 ans, mais il doit en avoir beaucoup plus.


Alors que les premières poignées de terre recouvrent le cercueil, les témoins réunis autour de cette tombe songent qu’ils ne savent presque rien de cet homme. Ils sont bien sûr au courant de certaines rumeurs qui courent sur ce prisonnier. 

 

On dit qu’il vivait comme un prince dans sa cellule, que des valets le servaient dans de la vaisselle fine et s’agenouillaient devant lui. On dit que le gouverneur de la Bastille lui-même ôtait son chapeau pour lui parler. On dit qu’il portait un masque jour et nuit. 

 

Il a été enseveli dans un drap neuf fourni par le gouverneur et que toutes ses affaires ont été brûlées, le lit, les matelas, tables, chaises, et toutes ses autres affaires. Les objets métalliques fondus. Les portes, châssis et dormant des fenêtres de la cellule ont été brulés comme le reste. 
Les murs de la pièce grattés jusqu'à la pierre, et réenduits complètement à neuf comme si l’on se méfiait qu’il ait pu laisser un message. 


En résumé que sait-on de lui :

 

- Il est mis au secret, sans communiquer avec quiconque, pourrait-il dévoiler un secret gênant?

- il sait écrire, cas rare à l’époque, qu’on ne rencontre que dans les milieux nobles ou religieux. 

- il a droit à du linge fin et de la vaisselle d’argent, ceux qui peuvent en disposer, idem.

- il est masqué et doit être ganté en permanence, on veut cacher plus que son visage.

- il n’a pas été exécuté, ce qui aurait été facile à l’époque, mais conservé en vie.

- il est sujet à un certain respect.

- il pourrait être capable de laisser un message secret après sa mort, à tel point qu’on détruit tout ce qu’il a touché.

 

 

Tout ceci ouvre deux questions :

 

- Quel était ce terrible secret qui lui a coûté trente-quatre dernières années de sa vie ?

- Mais, et surtout, pourquoi le garder en vie incognito, et ne pas le faire assassiner dans sa cellule ?

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(*5) Avec l’épisode de l’assiette gravée, aux îles Sainte-Marguerite, on voit que le personnage tente de communiquer par tous les moyens. Depuis, il a eu tout le temps de ruminer sa prochaine tentative. Il est donc probable qu’il ait tenté de laisser un message au château de Palteau malgré la surveillance étroite. Par conséquent si la chambre n’a pas été "nettoyée" avec autant de vigueur qu’à la Bastille, il se pourrait que l’on y trouve une indication.

 

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Le masque tombe

 

Gravure représentant le masque de fer.
gravure du masque de fer

 

Parmi les nombreuses hypothèses qui ont été avancées, beaucoup d’entre d’elles présentent des failles, des arguments prouvant leur impossibilité ou leur incongruité.

 

L’une d’elles, pourtant, a ma préférence, non pas seulement parce quelle est la plus plausible, mais parce qu'elle explique le fait que personne n’ait attenté à la vie du prisonnier et que l’affaire était suffisamment grave pour justifier sa mise au secret.

 

Remettons nous dans l’ambiance de l’époque et remontons même à l’enfance de Louis XIV, presque 50 ans avant ces événements.


Louis XIV, sur ordre de sa mère, fut éduqué sexuellement dès l’âge de 14 ans, à partir de 1652, par Catherine Bellier, duchesse de Beauvais, dite Cateau la Borgnesse, alors âgée de 38 ans(*6).

 

 

La gravure est erronée puisque le personnage pouvait manger avec son masque et devait porter des gants.

 

Or Catherine Bellier a pu engager des sous-traitantes. Tout laisse penser que le jeune Louis XIV a eu, dès son plus jeune âge, des relations sexuelles avec des Africaines et des Afro-descendantes.

 

Un manuscrit de Michelet évoque explicitement une «négresse» mise sexuellement à la disposition du roi en 1661, peu avant la naissance du Dauphin, par sa mère, Anne d’Autriche, pour le détourner de Louise de La Vallière, dont il était amoureux.

 

Si, à en croire l’historien Michelet, la reine met à la disposition du roi des «négresses» pour lui changer les idées quand il a 23 ans, c’est qu’elle avait l’habitude de le faire. Peut-être même savait-elle que le roi avait un goût particulier.

 

Il est d’ailleurs assez piquant de constater qu’en 1667, à l’occasion de la Saint-Valentin, Louis XIV se travestit pour danser dans le ballet d’une pièce de Molière en «maure de qualité» et demande à sa maîtresse, toujours Mlle de La Vallière, de se travestir en «mauresse»(*7)

 

La Mauresse de Moret.
la Mauresse de Moret

 

 

Il n’est guère étonnant, dans ce contexte, que le fantasme nègre du roi lui ait valu une descendance.

 

 Ainsi, à la fin du 17e siècle, une jeune fille noire de peau affirma être la fille du roi. Elle résidait dans un monastère bénédictin, à Moret-sur-Loing, dans l’actuelle Seine-et-Marne. Celle qu’on appellera la Mauresse de Moret, a reçu de nombreuses visites de hauts personnages de l’entourage royal. La triple dénomination, Louise-Marie-Thèrèse laissait aussi clairement supposer que la future religieuse était liée intimement à la famille royale.
 

Un temps son existence sera prétexte à mettre en cause la reine Marie-Thérèse, l’épouse de Louis XIV, à qui l’on prêtait des aventures avec le seul homme noir dans l’entourage de la reine, le nain Nabo, ramené d’Afrique quelques années plus tôt.
Aujourd’hui, on sait que la pieuse Marie-Thérèse n’a pas mis au monde d’enfant noir.

 

Les chercheurs ont mit à jour des archives qui semblent démontrer que Louise est bien une fille de Louis XIV, née vers 1675, le roi avait alors 37 ans.

Les archives françaises mettent en évidence la présence d’une deuxième femme noire, devenue nonne, elle aussi, et dont le père serait Louis XIV. Cette femme qui se prénomme Dorothée, a été placée chez les religieuses ursulines d’Orléans. Comme la Mauresse de Moret, elle recevait une pension du roi et faisait l’objet d’une attention particulière dans son couvent. 

 

Louise et Dorothée apparaissent dans les «Actes royaux» dans lesquels sont détaillés les pensions versées aux deux femmes. 

 

S’il est montré que le Roi soleil eut deux filles cachées, alors cela écarte l’hypothèse d’une naissance accidentelle suit à une rencontre unique.

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(*6) Catherine-Henriette Bellier dite «Cateau-la-Borgnesse», baronne de Beauvais, fut la première maîtresse du roi de France Louis XIV.

 

Elle rencontre le jeune Louis XIV dans les couloirs du Louvre alors qu'elle est âgée d'une quarantaine d'années, bien que disgracieuse et peut-être même borgne, elle entretient avec ce dernier une courte liaison. En réalité, elle a été désignée par la reine-mère Anne d'Autriche sur les conseils du marquis de Grave pour dépuceler le jeune roi âgé d'une quinzaine d'années et reçoit un château ainsi qu'une pension de 2.000 livres en récompense de ses services.

Son mari reçoit alors le titre de baron.

 

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(*7) Le 14 février 1667, jour de la Saint-Valentin (fête d’origine païenne et à connotation sexuelle) fut créé au château de Saint-Germain-en-Laye Le Sicilien ou l’Amour-Peintre, une comédie-ballet de Molière, sur une musique de Lulli. La comédie était précédé du ballet des muses, créé le 1er décembre 1666 à St-Germain.

 

Le jeune roi Louis XIV apparut dans le ballet et dansa, la figure noircie, pour figurer un "maure", c’est à dire un Africain, mais un maure de qualité. Il était accompagné de 7 autres danseurs, trois seigneurs de la cour et quatre dames, dont sa maîtresse Mademoiselle de La Vallière, tous travestis en "maures" et "mauresses".

 

Bientôt allait apparaître une enfant protégée du roi, une Afro-descendante élevée au couvent de Moret-su-Loing : la Mauresse de Moret. C’était la propre fille de Louis XIV, de l’aveu même de Voltaire qui eut l’occasion de parler avec elle. La ressemblance est confirmée par le vrai portrait de la Mauresse, découvert en 2014.

 

En 1671, le monarque qui allait devenir un roi négrier en ouvrant la traite à tous les ports français, projetait un évident fantasme sur les Africaines et les Afro-descendantes, engendrant possiblement une descendance inavouable.

 

La découverte récente d’archives inédites laisse penser que le fantasme du roi était une réalité.

 

Un goût de l’exotisme qui le poussera à épouser Françoise d’Aubigné, la "belle indienne", Madame de Maintenon, fille du gouverneur de Marie-Galante aux Antilles.

 

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S’il y a eu des filles, il y a pu aussi y avoir des fils.


Un fils métis du roi était beaucoup plus difficile à cacher qu’une fille. Le mettre au monastère ? Les religieux étaient beaucoup moins discrets que les femmes et ils laissaient beaucoup de traces écrites. 

 

Mieux valait placer le garçon comme "valet" dans la famille royale, ce qui laissait la possibilité de le voir de temps en temps. Le duc de Beaufort, qui avait traîné ses bottes en Afrique, était un parfait alibi.

 

Dans cette hypothèse, un enfant métis mâle né vers 1654, aurait été enfermé dès l’âge de 15 ans et, en tant que Masque de fer, aurait passé toute sa vie en détention, du fait de sa couleur de peau, de son origine royale, et de ce qu’il savait sur la mort du duc de Beaufort, possiblement assassiné, pour mourir à la Bastille à 49 ans et être enterré sous un nom d’emprunt.


 
Ainsi donc, cette hypothèse est plus que séduisante, même si elle heurte nos sensibilités modernes, nul doute qu’à l’époque un héritier de la couronne métis avait de quoi ébranler bien des certitudes, alors qu'on s’apprêtait à faire tourner à plein le commerce triangulaire(*8).

 

Le Masque de fer serait alors un fils caché, né vers 1654, que le roi aurait eu avec une Africaine ou une Afro-descendante lorsqu’il était très jeune, Louis XIV aurait pu l’engendrer alors qu’il avait 15 ans.

 

Cette hypothèse, développée par Serge Aroles en 2014 suite à la découverte de documents probants dans des fonds d’archives jusqu’alors inexploités, est compatible avec la précédente : le fils du roi aurait été confié au duc de Beaufort et, de ce fait, il aurait assisté à sa mort.

 

On constate qu’à partir de 1665 le duc de Beaufort apparaît dans la comptabilité concernant les sommes accordées par le roi aux enfants royaux. On pourrait en conclure que c’est à partir de cette date que Beaufort s’est vu confier le fils du roi, son cousin. 

 

Officiellement cet enfant, d’environ 11 ans, aurait été ramené des campagnes auxquelles Beaufort aurait participé contre les barbaresques sur les côtes du Maghreb en 1662.

 

En 1669, le duc de Beaufort disparaît en Crète dans des conditions plus que mystérieuses et un jeune homme âgé d’environ 15 ans débarque à Dunkerque sous le nom d’Eustache Danger. 

 

Arrêté à Calais, des dispositions sont prises pour le conduire, sous escorte légère, dans la prison d’État de Pignerol. Ce prisonnier, futur homme au masque de fer, sait des choses et il ne doit pas parler. Son geôlier, Saint-Mars, le prévient qu’il sera exécuté sommairement s’il bavarde. 

 

Or il bavardera. Et ce seront ceux à qui il fera des confidences qui mourront. Une fois ces confidences faites, le mystérieux prisonnier sera soustrait aux regards et on ne lui donnera même plus de nom.

L’intérieur de la Bastille, par Jean-Honoré Fragonard.
l’intérieur de la Bastille

 

Il y aurait donc une bonne raison de le mettre à l’écart l’importun : Il était le fils aîné du roi, ce qu’il aurait dit à Beaufort, secret que le dit Beaufort confia à Saint-Mars avant d’être assassiné.

 

Que le Masque de Fer ait été témoin de l’assassinat de Beaufort, est secondaire dans ce contexte.


Dès lors, sa couleur de peau devient embarrassante. 

 

L’homme ne détient pas un secret. Le secret c’est lui, c’est sa couleur de sa peau ! 

 

Tout simplement parce que, en dépit de sa bâtardise, il pouvait prétendre au trône du fait du droit d’aînesse civil de l’époque qui ne distinguait pas les bâtards des autres enfants et où il suffisait que le père reconnaisse l’enfant pour qu’il s’ouvre à pleins droits.

 

D’autant que, et comme l’atteste son médecin, le personnage mort à la Bastille en 1703 sous le nom de Marchioly(*9), était un homme à «la peau un peu brune», aux «cheveux noirs crêpés» et au ton de voix «intéressant» (particulier).

 

Le masque de fer sait, d’une part qu’il est le fils du roi, d’autre part que le roi a fait assassiner le duc de Beaufort, son protecteur et cousin de Louis XIV. 

 

Nul doute qu’un témoin aussi gênant aurait été rapidement éliminé s’il n’eût été de sang royal.

 

(Attention, cher lecteur ne parle pas trop à nos "amis" Woke, de ce que la fin de l’article te révèle, ça pourrait leur donner des idées car l’affaire montre que, outre les pratiques tyranniques de la monarchie absolue avec ses lettres de cachet, on voit qu’à l’époque non seulement on faisait peu de cas des gens de couleurs, mais il n’était pas question d’en avaliser la présence dans la descendance royale.)

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(*8) Le commerce triangulaire, aussi appelé traite atlantique, est une «traite négrière» reliant l'Europe, l'Afrique et l'Amérique, pour la déportation d'esclaves noirs, d'abord troqués en Afrique contre des produits européens puis en Amérique contre des matières premières coloniales.

 

Rio de Janeiro est le premier port négrier de la planète, devant Liverpool et Nantes. La plupart des côtes de l'Afrique occidentale sont ainsi reliées aux Caraïbes, au Brésil et au Sud des États-Unis.

Le commerce triangulaire prend de l'ampleur au 18e siècle, en particulier à partir de 1705, puis chute après le droit de visite des navires étrangers, imposé par les Anglais en 1823, suite aux traités internationaux abolissant la traite négrière au début du 19e siècle. Peu après, l'esclavage est lui-même aboli dans l'Empire colonial britannique et lors de la révolution de 1848 en France.

 

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(*9) Marchioly ou Marquis au lit ? L’affaire se clôt-elle sur une dernière pirouette orthographique ? ("Marquis" étant un titre qu’on attribuait souvent aux enfants naturels du roi)

 

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Photos

une page du registre d'écrou de la Bastille

Extrait du manuscrit, fait pour le Ministre Malesherbes au 18e siècle, sur une page du registre d'écrou de la Bastille.

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Chronologie

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La citadelle de Pignerol vers 1650.

Par Auteur inconnu — http://expos-historiques.cannes.com/a/1910/fort-de-pignerol-bh739-/, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82262006

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/28/Citadelle_de_Pignerol.jpg

 

Le château de Palteau, à Armeau dans l’Yonne

https://www.randogps.net/traces/89/76/image1.GIF

 

Vue de la Bastille et de la porte Saint-Antoine, par Israël Silvestre - ca. 1650.

Par Israël Silvestre (1621-1691) — Public Domain, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=142118550

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/9/98/Ch%C3%A2teau_de_la_Bastille_et_porte_Saint-Antoine%2C_par_Isra%C3%ABl_Silvestre_-_ca._1650.jpg/1280px-Ch%C3%A2teau_de_la_Bastille_et_porte_Saint-Antoine%2C_par_Isra%C3%ABl_Silvestre_-_ca._1650.jpg

 

gravure du masque de fer

La gravure est erronée puisque le personnage pouvait manger avec son masque et devait porter des gants.

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Mauresse de Moret

http://une-autre-histoire.org/wp-content/uploads/2013/07/mauresse3.jpg

 

L’intérieur de la Bastille

Par Jean-Honoré Fragonard — Cette image provient de la bibliothèque en ligne Gallica sous l'identifiant ARK btv1b10302501h, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=224411

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/2/23/Bastille_Interior_1785.jpg/1024px-Bastille_Interior_1785.jpg

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