Le paradoxe de l'homme ivre
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C'est la science qui le dit ! Ha ! Une fois qu’on a dit ça, on n’a plus qu’à s’incliner et écouter "religieusement", l’expert.
Or les experts(influenceurs ?) ne manquent pas sur les réseaux sociaux, peut être plus pour alimenter le buzz, que pour décortiquer l’énigme.
Mais de quoi est-il donc question ?
En 1905, on avait posé un problème qui décrivait un parcours erratique que pourrait effectuer une personne dont les pas pourraient s’orienter d’un angle quelconque.
La réponse vulgarisée est devenue culte, que l’on nomme "Le paradoxe de l'homme ivre" :
"L'endroit le plus probable pour trouver un ivrogne encore capable de tenir sur ses pieds se trouve quelque part dans le voisinage de son point de départ".
Tout d’abord évacuons l’idée du comportement d’un homme ivre(*1) :
Même si l’on imagine facilement que l’itinéraire de l’ivrogne en question puisse être accidentée, rien ne dit qu’elle est aléatoire, car la direction que prend l’homme ivre peut être motivée par une tout autre raison que le hasard. Peut être même suffit-il de mettre une bouteille à un certain endroit pour attirer le soiffard.
Parmi les exemples qui viennent à l’esprit, on pense à des attitudes qui choquent la raison. Dans le domaine de la logique, on peut trouver des raisonnements dont l’aboutissement défie l’entendement.
Par exemple, Lewis Carroll, par ailleurs professeur de mathématiques, décrivit un monde étrange dans Alice au pays des merveilles, où se perdait une fillette de 10 ans. L’auteur mettait en scène les paradoxes du sens et ouvrait notre imaginaire vers un nouveau monde possible, comme pour nous dire que la logique n’a pas le monopole du sens.
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Si vous voulez en savoir plus sur Lewis Carroll, et ses créations ludiques, je vous invite à aller voir l’article là. . .
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(*1) Pour les philosophes, ce sujet est proche d’une question qui taraudait Aristote, il y a pas mal de temps.
Agir en état d'ignorance.
Qui commence comme ça :
Il y a aussi, semble-t-il bien, une différence entre agir par ignorance et accomplir un acte dans l'ignorance : ainsi, l'homme ivre ou l'homme en colère, pense-t-on, agit non par ignorance mais par l'une des causes que nous venons de mentionner, bien qu'il ne sache pas ce qu'il fait mais se trouve en état d'ignorance.
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Source: http://www.daniel-pimbe.com/pages/explications-de-textes/page-59.html
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L’énoncé de 1905 ne décrit pas le comportement d’un homme ivre mais il se ramène au problème de "la marche au hasard".
En 1905, c’est le biostatisticien Karl Pearson qui introduisit l'idée de marche aléatoire, pour rendre compte des migrations d'une population de moustiques dans une forêt. Pearson y posait la question suivante :
"Un homme part d'un point O et parcours l yards (0,914 m) en ligne droite ; il tourne d'un angle quelconque, et marche de nouveau l yards en ligne droite. Il répète ce processus n fois. Je demande la probabilité qu'après n de ces trajets, il soit à une distance située entre r et r + dr de son point de départ."
La réponse à cette question fut fournie une semaine plus tard par Lord Rayleigh dans la livraison suivante du magazine scientifique Nature, sous la forme d’une équation.
Si Rayleigh fournit si rapidement la réponse, c'est qu'il avait lui-même étudié 20 ans plus tôt, un problème similaire.
Pearson rebondit sur la réponse et concluait :
"La leçon de la solution de Lord Rayleigh est que, dans un pays ouvert, l'endroit le plus probable pour trouver un ivrogne encore capable de tenir sur ses pieds se trouve quelque part dans le voisinage de son point de départ."
De nombreux matheux de haut vol se sont penchés sur le problème de la de marche aléatoire pour l’étendre à "n" dimensions.
En faisant l’économie des calculs, la conclusion des matheux en question aboutit à une probabilité de retour à l'origine, dans les cas de dimensions supérieures ou égales à 3, voisine de :
34 %.
Contentons nous d’une marche à 2 dimensions, c’est à dire sur notre bon vieux plancher des vaches.
Intuitivement on devine que l’affaire est du domaine des probabilités. Nos matheux diraient qu’une marche au hasard est un modèle mathématique d'un système possédant une dynamique discrète composée d'une succession de pas aléatoires, ou effectués "au hasard".
Ils ajouteraient que ces pas aléatoires sont, de plus, totalement décorrélés les uns des autres et que cette dernière propriété, fondamentale, est du type chaîne de Markov qui se décompose en unités élémentaires appelées pas, dont la longueur peut être ou non constante. À chaque pas, on a donc un éventail de possibilités pour choisir au hasard la direction et la grandeur du pas.
Elle signifie plus prosaïquement, qu'à chaque instant, le marcheur (le système, disent-ils) "perd la mémoire" à mesure qu'il évolue dans le temps. Pour cette raison, une marche aléatoire est parfois aussi appelée, faussement comme on l’a vu, "marche de l'ivrogne".
Cette modélisation mathématique permet de rendre compte de certains phénomènes naturels, dont l'exemple le plus fameux est le mouvement brownien, correspondant aux mouvements en apparence aléatoires de grains de pollens immergés dans l'eau. On imagine facilement que cela s’applique aussi aux particules dans l’espace, et c’est pour cela que certains ont étudié le cas en trois dimensions.
Si l’on considère une marche aléatoire sur le sol (un réseau plan Z2 diraient nos matheux), il y a ici quatre mouvements possibles à chaque étape : en avant, en arrière, à droite, à gauche.
L'image au début du paragraphe montre un échantillon de trois simulations numériques indépendantes de marches aléatoires.
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Pour des longues marches, la position finale du marcheur qui a le plus de chance d’être constatée est le point de départ.
(nos copains à grosses tête diront que la distribution de la position finale du système se comporte asymptotiquement comme une distribution gaussienne).
Cette convergence est illustrée en traçant les répartitions des probabilités de présence sur le réseau.
Le fait que la marche aléatoire ait une forte probabilité de rester aux environs du point de départ, a l’air étonnant comme cela, mais il faut considérer que dans l’échantillon des actions, certaines d’entre elles sont symétriques et s’annulent comme, avant/arrière ou arrière/avant et droite/gauche ou gauche/droite, et que donc, dans une suite de 2 pas, soit 16 actions possibles (42) on a déjà 4 possibilités d’annulation, c’est à dire une probabilité de retour à la case départ de :
4/16 = 25 %
En plus, et c’est là le nœud du problème, des actions d’un certain type répétées 4 fois s’annulent. En effet, tourner 4 fois à gauche ou 4 fois à droite, revient à se retrouver à l’endroit où l’on était avant ces 4 virages.
Si le marcheur "perd la mémoire", ce n’est pas le cas de la situation physique de son avancement qui évolue au fil du temps et qui constitue une synthèse des actions passées. Par conséquent, on est ici, en présence de probabilités conditionnées que les supporters du révérent Bayes(*2) connaissent bien.
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(*2) Les découvertes en probabilités du mathématicien britannique Thomas Bayes ont été résumées dans son Essai sur la manière de résoudre un problème dans la doctrine des risques.
On lui doit en particulier une loi importante des probabilités, le théorème de Bayes, qui est la fondation d'un pan important de la statistique moderne.
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Pour les amateurs de jeux, le problème des probabilités conditionnées est illustré par le célèbre jeu télévisé américain Let's Make a Deal diffusé de 1963 à 1977 avec le présentateur vedette du nom de Monty Hall, dont on peut aller voir l’article là. . .
Sources
https://www.philomag.com/articles/y-t-il-une-logique-de-linsense
http://www.daniel-pimbe.com/pages/explications-de-textes/page-59.html
https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1116685
https://fr.wikipedia.org/wiki/Graphe_al%C3%A9atoire
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cha%C3%AEne_de_Markov
https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9or%C3%A8me_de_Bayes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Thomas_Bayes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Let%27s_Make_a_Deal
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couverture
homme ivre
Image par Alexa de Pixabay
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homme ivre
Image par Alexa de Pixabay
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puzzle de Lewis Caroll
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Trois marches aléatoires en 2 dimensions
Trois marches aléatoires, indépendantes de même longueurs sur le réseau ; 10 000 pas.
https://fr-academic.com/pictures/frwiki/87/Walk2d_0.png
Probabilités des positions en marche aléatoire Après 60 pas
https://fr-academic.com/pictures/frwiki/82/Random_Walk_60.gif
Trois boites du problème de Monty Hall