1940, La fin des illusions pacifistes
Longtemps, les Français, n’avaient pas voulu y croire.
Le gouvernement avait multiplié les déclarations rassurantes, proclamé sur un ton martial: «Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts.», qui tenait lieu de stratégie.
C’est le contraire qui eût été joli, insinuait Jean Cocteau, relate Jean Galtier-Boissière dans son ouvrage "Mémoire d’un parisien".
Les années 30
Dans les années 30, l’armée française était considérée, surtout par les français eux-mêmes, comme la meilleure du monde. Auréolés de la victoire de 14, la France et ses élites s’étaient endormis, assoupis de pensées pacifistes.
A la veille de la guerre, il existait un tragique décalage entre l’image de la France et la réalité française. Le désastre de 1940 déchira brusquement ce long voile d’illusions.
Certes, dès 1938, les responsables étaient conscients du déclin, en particulier dans le domaine militaire, au point qu’ils décidaient d’aligner la diplomatie française à celle de la "gouvernante anglaise" et qu’ils acceptaient la politique britannique d’apaisement à l’égard de l’Allemagne hitlérienne.
Pour mettre fin à ce recul passager et reconstituer le potentiel militaire, Daladier comptait sur le redressement économique et les ressources de l’Empire.
Son inquiétude quant à l’infériorité franco-britannique en forces réelles instantanément mobilisables, face à une Allemagne réarmée, s’était peu à peu estompée, car il ne doutait pas qu’en forces potentielles la supériorité ne fût du côté des alliés.
Puis soudain, ça avait été la ruée, irrésistible.
L’effondrement brutal de nos défenses et de nos certitudes.
Des autorités dépassées par l’ampleur du désastre. Une armée disloquée par un adversaire qui la surclassait par la mobilité, l’audace, la vitesse, l’art de la guerre, l’organisation.
Le Heinkel He 111, l'un des avions technologiquement avancés
conçus et fabriqués illégalement au début des années 1930
dans le cadre du réarmement de l'Allemagne du Troisième Reich.
Un gouvernement errant de ville en ville et naviguant à vue. Tout un peuple en désordre fuyant au hasard des routes. Les fausses nouvelles courant de bouche en bouche dans la cohue.
Les fautifs
Sachant qu’on lui contestait la gloire d’avoir gagné la bataille de la Marne, Joffre avait eu ce mot, caustique: «Je ne sais pas qui a gagné la bataille de la Marne, mais je sais qui l’aurait perdue.»
En 1940, la catastrophe avait une ampleur telle qu’on n’avait pas attendu pour s’écharper sur la désignation des responsables. Les politiciens de la IIIe République avaient été les premières victimes de la vindicte.
Ces étranges alchimistes n’avaient-ils pas transformé, en deux décennies, l’or de la victoire en plomb de la débâcle?
N’avaient-ils pas gaspillé le sang versé en abondance par la jeunesse française?
Déclaré avec inconscience une guerre qu’ils n’avaient pas préparée et qu’ils avaient perdue?
Ces gouvernements avaient certes tenté, in fine, de réarmer la France en lançant d’ambitieux programmes d’équipement. Mais trop tard et trop lentement, après quinze années d’incurie qui avaient vu les deux Cartels des gauches, les coalitions de hasard nouées dans un climat d’instabilité permanente se bercer d’illusions sur l’avènement de la paix universelle.
«L’armée d’aujourd’hui est descendue au niveau le plus bas que permette la sécurité de la France dans l’état actuel de l’Europe. A continuer les errements actuels, nous risquons de n’avoir bientôt plus dans l’armée qu’une façade, donnant une fausse sécurité en face de l’Allemagne réarmée», avait pourtant prévenu dès 1932 le général Weygand, alors inspecteur général de l’armée, dans un rapport au ministre de la Guerre.
1932, Hitler n’était pas encore au pouvoir.
On avait défini une stratégie défensive, seule conforme à la prohibition de la guerre défendue inlassablement, comme ministre des Affaires étrangères, par Aristide Briand entre 1925 et 1932, qui lui avait valu en 1926 le prix Nobel de la paix.
En même temps on «garantissait» les frontières des jeunes Républiques nées du démantèlement de l’Empire Austro-Hongrois, sans prendre garde qu’une telle garantie aurait supposé que l’on se rende capable d’intervenir en masse à plusieurs milliers de kilomètres de nos bases.
On avait baissé les yeux lors de la remilitarisation de la Rhénanie par l’Allemagne nazie, quand le déséquilibre des forces nous permettait encore d’étouffer dans l’œuf la reconstitution de la puissance germanique.
Les Etats-Unis nous avaient forcé la main pour signer, en 1919, des traités imbéciles qui laissaient à l’Allemagne la possibilité de reconstituer sa puissance tout en désorganisant l’Europe centrale en livrant une poussière d’états indéfendables à l’appétit d’Hitler.
Ils s’étaient associés ensuite aux Britanniques pour imposer à la France de renoncer, au nom de la paix, au versement par l’Allemagne de l’essentiel des réparations auxquelles elle avait été astreinte.
L’Allemagne pourrait se consacrer tout entière à refaire ses forces. L’Angleterre avait regardé avec bienveillance ce redressement d’une puissance, qui devait rester à tout prix solvable, dans laquelle elle voyait un utile contrepoids à l’hégémonie française. Elle avait désapprouvé notre occupation de la Ruhr. Plaidé sur tous les tons pour la réconciliation.
Guerre nouvelle anciennes méthodes
Le renseignement militaire n’avait pas manqué, avant-guerre, d’alerter les politiques sur la dangerosité d’Hitler. Mais nommé généralissime en 1935, Gamelin s’était distingué par son attentisme.
Le souvenir de la guerre de 1914-1918 expliquait le choix de faire reposer la défense sur la ligne Maginot, à l’abri de laquelle on pourrait, croyait-on, attendre d’être prêts pour l’offensive.
Le peuple français n’était pas lui-même étranger à la situation. Sorti exsangue d’une victoire qui avait décimé toute une classe d’âge, il avait, selon le mot d’Alphonse de Châteaubriant, «laissé tomber la culotte rouge». Le ressort était brisé. Tout paraissait préférable à une réédition de la boucherie.
Les communistes luttaient, quant à eux contre la «sale guerre», en sabotant le matériel destiné à l’armée française. Leur chef avait déserté pour passer à l’ennemi soviétique. Leurs militants fraterniseraient bientôt avec les soldats allemands.
Dès 1938, la mobilisation partielle révèle les dysfonctionnements de l’armée française.
La grande difficulté française réside dans l’inadaptation de l’équipement. Peu d’armes automatiques
sont à la disposition de l’armée. Plus grave encore, les alliés ne disposent pas d’un réel armement
antichar.
Il n’y a dans l’armée française que 7 divisions d’infanterie, 2 divisions légères et 4 divisions cuirassées capables de se mouvoir
Un commandement d’un autre âge
Le Haut commandement est confié par le gouvernement au Général Gamelin. Il commettra une erreur dans le choix de ses officiers supérieurs en utilisant le critère de l’âge. Cela le conduira à désigner le général Georges au lieu de Weygand.
Il négligera d’aller sur le terrain pour contrôler la qualité de la préparation, de l’instruction, des planifications et l’organisation des états majors.
Le général Gamelin apparaît comme un stratège intellectuel coupé du terrain peu enclin aux idées simples. Tandis que le général Georges est inapte physiquement du fait de sa blessure reçue lors de l’attentat de Marseille en 1934[1].
- - -
[1] À l’automne 1934, le général Georges est désigné pour accueillir le roi Alexandre Ier de Yougoslavie, avec qui il a noué une solide amitié durant la Première Guerre mondiale, et qui doit débarquer à Marseille le 9 octobre 1934. Quelques minutes après l’arrivée de la délégation yougoslave, un attentat survient sur la Canebière. Le roi est tué, tout comme le ministre Louis Barthou, qui succombe plus tard à ses blessures, le général Georges, atteint par deux balles en tentant de s'interposer, est grièvement blessé.
- - -
La drôle de guerre
Cette guerre d’attente, est justifiée par la nécessité de tenir jusqu’aux printemps 1940 pour donner le temps à la production militaire de s’accélérer et de renforcer les fortifications.
Une offensive dans la Sarre est lancée. Le but est de soulager la Pologne qui supporte seule le poids de l’armée allemande. Elle est surtout engagée pour se conformer à la convention militaire franco-polonaise.
Alors que le dispositif allemand n’est constitué que de troupes de réserve, l’attaque est déclenchée tardivement dans la nuit du 6 au 7 septembre 1939. La résistance allemande est faible et le 13 septembre, la progression est de 8 kilomètres. Le Général Gamelin ne s’engage pas malgré la faible résistance allemande, les Français ne profitent pas de leur progression et stoppent sans raison apparente.
Le 24 octobre, les troupes françaises sont à l’abri derrière la ligne Maginot alors que la Pologne est écrasée. Le temps perdu ne se rattrape pas et les huit mois de passivité ne permettront pas de renforcer le dispositif alors que les Allemands se débarrassent du front polonais et s’emparent du Danemark et de la Norvège.
Or, on ne cherche même pas à préparer les hommes au combat antichar, ni même à supporter les bombardements. Gamelin s’englue dans ses contradictions et son manque de simplicité.
Le généralissime attend les initiatives allemandes pour prendre ses décisions et personne ne mesure l’impact de cette inactivité sur l’armée et la Nation.
L’opinion ne se mobilisera pas beaucoup et le relâchement est général.
Georges Mandel constate la réalité : « il n’y a pas de volonté de se battre ».
L’erreur fatale
Les alliés agissent comme si le temps était leur allié. Or, lorsque se lancent les meilleures divisions françaises en Belgique, les Allemands on déjà fait mouvement et les troupes alliés auront toujours un temps de retard sur l’action ennemie.
Mais le pire est que sous le choc de l’offensive allemande, le 10 mai 1940, Gamelin avait décidé d’abandonner soudainement nos lignes pour entrer en Belgique et y courir le risque d’une bataille de rencontre à laquelle rien ne préparait nos troupes.
La solidarité des alliés ne résiste pas puisque les Anglais évacuent vers Dunkerque et veulent garantir leur retraite. Rien que dans le combat aérien, les Britanniques déplorent autant de pertes que ce qu’ils subiront pendant la bataille d’Angleterre.
Les uns et les autres paieront le prix de leurs errements dans le sang et les larmes.
La défaite
Dans l’immédiat, les Français refusent l’idée d’une défaite, Weygand, nouvellement nommé, veut constituer une ligne de défense sur la ligne Somme, Aisne.
Mais à une époque où les blindés font 100 kilomètres par jour, il n’est plus possible de se replier sur la ligne Aisne, Marne et Somme. C’est Paris et la Seine qui devraient être la ligne de repli et cette situation est inacceptable sur le plan politique.
Les troupes qui ont cédé furent peu nombreuses au début. La surprise joue et le manque d’idée se fait sentir. C’est à ce moment que la doctrine tactique de l’armée française montre ses faiblesses.
Contrairement à ce que l’on peut croire, le matériel de l’armée française n’était pas en retard d’une guerre. Plusieurs combats, dont celui de Stonne, démontrent la supériorité du Char Renault 21 sur le Panzer MkIV.
Mais on n’envisage pas la possibilité d’être surpris et la priorité stratégique fait négliger la tactique et l’emploi concerté des différentes armes. L’armée française souffre cruellement d’un manque de doctrine de l’armement motorisé et blindé dans une guerre de mouvement.
L’état-major ne pourra qu’improviser à la hâte la 4ème division cuirassée pour tenter d’endiguer la tête de pont allemande au sud d’Abbeville ou s’illustrera de Gaulle. Celui-ci tentera de franchir la Somme. Il réussit le 28 mai à déboucher mais les Allemands, surpris, réussissent à installer des batteries anti-chars que les Français ne pourront détruire et le 30 mai, faute de renfort, de Gaulle bat en retraite. Une occasion a été perdue ce jour là.
La logistique française s’avère incapable de soutenir l’armée en mouvement.
Les troupes se replient, souvent faute de munition. L’ultime bataille de France s’engage dans des
conditions catastrophiques.
Le 8 juin, la défaite est consommée même si l’armée a combattu avec courage.
«Les Français se battent avec une décision et un courage que l’on n’avait pas vus sur la Meuse. Le hurlement des sirènes des Stukas ne les impressionne plus. Dans les villages détruits les Français se battent jusqu’au dernier homme. Certains îlots résistent encore alors que notre infanterie les a déjà dépassés de 30 km» affirme Karl Von Stackelberg.
Cependant l’armée française n’est plus en mesure d’arrêter l’ennemi, d’autant que toutes les voies de communication sont submergées par le flot de «l’exode».
La débâcle va commencer.
Plus rien n’existe. Il ne reste à la France que sa Marine, la ligne Maginot et l’armée des Alpes qui contient les Italiens.
incompréhensible. Les Allemands l’ont emporté parce qu’ils ont su concentrer des forces de combats aux endroits décisifs.
Aucune défaite ne fut cependant moins étrange. Aucune ne fut plus prévisible. C’est ce qui la rend si amère, si tragique.
finillusionspacifistes
finillusions
finpacifistes
Sources
Affiche "Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus forts" illustrée par JKap, Paris, Imprimerie Bedos et Cie, novembre 1939, Collection du CHRD, N° Inv. A 57
Extraits de 1940: le chagrin et la colère, Michel De Jaeghere
https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/1940-le-chagrin-et-la-colere-20200406
Extraits de LA PUISSANCE FRANÇAISE EN QUESTION 1945-1949,Robert Frank, René Girault
https://books.openedition.org/psorbonne/50588?lang=fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_Maginot
ttps://fr.wikipedia.org/wiki/Réarmement_de_l%27Allemagne_sous_le_Troisième_Reich
LA GUERRE DE 1940 , Stefan Martens Steffen Prauser
https://books.openedition.org/septentrion/7346?lang=fr
https://fr.wikipedia.org/wiki/Exode_de_1940_en_France
La débâcle. Christian Lambart
Les manoeuvres Escaut et Dyle-Bréda d’après H. Michel, «La Seconde Guerre mondiale».
Jean-Jacques Arzalier, «Les campagnes de mai-juin 1940, les pertes, dans Christine Levisse-Touzé, la Campagne de 1940, actes du colloque du 16-18 novembre 2000, Tallandier, 2001. p. 427
http://jacqueline-devereaux.blogspot.com/2010/10/10-mai-25-juin-1940-bataille-de-france.html
Pour le Désarmement des Nations, CARLU JEAN 1936
http://histoiregeo1eres6.over-blog.com/article-quelques-complements-sur-la-sdn-88708373.html
Casque de général d'armée français
Par Rama. — Self-creation., CC BY-SA 2.0 fr,
https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=960693
Le personnel de l'armée de terre et de l'armée de l'air française à l'extérieur d'un abri nommé '10 Downing Street' au bord d'un aérodrome, le 28 novembre 1939.
Par War Office official photographer, Keating G (Lt) — http://media.iwm.org.uk/iwm/mediaLib//47/media-47983/large.jpgThis is photograph O 344 from the collections of the Imperial War Museums., Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=30843007