Les illusions, l’illusion monétaire

par Jean Marie Champeau 28 Décembre 2022, 03:00 biais de jugement

Le biais de l’illusion monétaire

 

Imaginez Adam, Benoît et Carl qui reçoivent un héritage. Chacun achète une maison pour 200.000 dollars. Les trois revendent leur maison un peu plus tard, mais dans des conditions économiques différentes.

 

- Adam vend sa maison au prix de 154.000 dollars, soit 23 % de moins que ce qu’il avait payé à l’achat. Durant la période au cours de laquelle il était propriétaire de la maison, les prix de tous les biens et services ont chuté de 25% (déflation).

 

- Benoît vend sa maison au prix de 198.000 dollars, soit 1% de moins que ce qu’il avait payé à l’achat. Entre le moment de l’achat et celui de la vente, les prix sont restés stables.

 

- Carl vend sa maison au prix de 246.000 dollars, soit 23 % de plus que ce qu’il avait payé à l’achat. 
Durant la période au cours de laquelle il était propriétaire de la maison, les prix de tous les biens et services ont augmenté de 25% (inflation).

 

Il a ensuite été demandé aux participants à ce jeu, de ranger ces transactions de la plus lucrative à la moins intéressante. 

 

Les résultats ont montré que les réponses étaient largement influencées par les valeurs nominales, 60% des personnes interrogées estimant que Carl avait fait la meilleure affaire, suivi de Benoît et enfin d’Adam.

 

Et vous. . . ?

 

. . .

 

 

En réalité, c’est exactement le contraire. 

 

Adam, dans un contexte où les prix ont baissé de 25 %, a réalisé un gain réel de 2 % en vendant sa maison seulement 23 % sous le prix d’achat.

 

Benoît a pour sa part subi une perte nominale et réelle de 1 % étant donné que les prix n’ont pas bougé. 

 

Carl, enfin, a fait la plus mauvaise affaire, accusant une perte réelle de 2%. Bien que la valeur nominale de sa maison ait augmenté de 23 %, l’inflation a atteint les 25 %, ce qui signifie une réduction de 2 % du pouvoir d’achat.

 

Si l’on se base sur la valeur nominale on est victime de l’illusion monétaire, expression sans doute inventée en 1928 par l'économiste américain Irving Fisher, et mise en évidence sur la base d’une série d’expériences dont celle décrite ici.

 

Le biais

 

Billet de 1.000 marks du 15 décembre 1922 contremarqué en rouge «1 milliard de marks» durant l'automne 1923. 
1000 marks 1922, contremarqué en rouge en 1923. 

 

L'illusion monétaire est l'attitude qui consiste en un raisonnement qui s'appuie sur des valeurs nominales de l'économie et non sur des valeurs réelles, c'est-à-dire corrigées des effets de l'inflation.

 

Pour l'économiste américain Milton Friedman, les agents économiques "font des erreurs d'anticipation" qu'ils ne corrigent que progressivement. 

 

Pour Friedman, les gouvernements trompent les agents économiques en faisant varier de manière discrétionnaire et inattendue la quantité de monnaie. 

 

Il faut alors un certain temps pour que les agents comprennent que les variations des prix relatifs qu'ils perçoivent tout d'abord ne sont que le produit d'une variation du niveau général des prix. 

 

L'illusion monétaire est plus le produit d'une insuffisance d'information sur la politique économique du gouvernement que d'une irrationalité des agents économiques.

 

L'augmentation de la masse monétaire provoque une inflation qui, compte tenu de la rigidité des salaires à court terme, provoque une baisse du salaire réel. Si celle-ci n'est pas perçue par les travailleurs, les entreprises vont augmenter leur marge. 

 

Cette augmentation sera temporaire, tant que durera l'illusion monétaire.

 

Quand elle cesse, les gens perdent confiance, l’inflation peut aller très vite comme cela c’est déjà produit en Allemagne entre juin 1921 et janvier 1924 et plus précisément durant l'année 1923 avec l’exemple ici où un billet de 1.000 marks du 15 décembre 1922 contremarqué en rouge «1 milliard de marks» durant l'automne 1923 pour la même valeur. 

 

Cette hyperinflation fut la conséquence d’un ensemble de facteurs complémentaires entre eux. L'endettement de l'Allemagne, ce qui a fait que le gouvernement allemand a enclenché la "planche à billets" c'est-à-dire créé de la monnaie plus vite que ce que l'économie ne nécessitait et l'indexation des salaires sur le taux d'inflation, ce qui n’a fait que la nourrir.

 

Illusion monétaire et salaire

 

 

L'illusion monétaire peut également influer sur la perception que les gens ont de leurs revenus. 

 

 

Des expériences ont montré que les gens perçoivent généralement comme injuste une diminution d'environ 2% de leur revenu nominal, sans modification de la valeur monétaire, mais trouvent juste une hausse de 2% de leur revenu nominal avec une inflation de 4%, alors que les deux situations reviennent au même. 

 

L’inflation

 

L'inflation.
Inflation

 

Malgré toute son importance, l’argent et les mécanismes qui en font changer la valeur avec l’inflation sont très mal compris par certains investisseurs. 


Au fil du temps, bien que ce qu’ils peuvent acheter avec une quelconque somme d’argent varie essentiellement en fonction de l’inflation des prix, beaucoup d’investisseurs ont du mal à faire le lien entre l’argent et le pouvoir d’achat qu’il représente.

 

En termes de psychologie comportementale, la question de l’illusion est un exemple d’échec cognitif, connu en anglais sous le nom de «framing», le cadrage(*).

 

L’explication comportementale de l’illusion monétaire indique que notre réflexion est guidée par des réactions automatiques et émotionnelles face à des changements constatés dans les valeurs nominales qui prennent pour nous trop d’importance. 

 

Bien qu’il soit facile de calculer l’impact de l’inflation, sa prise en compte demande un effort supplémentaire et au moins une partie du cerveau semble bizarrement s’accrocher à l’illusion de la valeur nominale.

 

En bref, cela signifie que certaines parties de notre cerveau nous prédisposent à nous laisser impressionner par ces chiffres sans réfléchir à ce qu’ils signifient réellement. De tels raccourcis émotionnels étaient sans doute très utiles à nos ancêtres face aux menaces de l’époque, ils sont de nos jours plus problématiques.

 

Les augmentations nominales de revenus sont perçues à tort comme d’authentiques augmentations du pouvoir d’achat, alors que l’inflation peut en réalité réduire ce pouvoir d’achat. 

 

L’illusion monétaire a été citée comme étant la raison pour laquelle de faibles niveaux d’inflation (de 1 à 2 % par an) sont souhaitables pour les économies, au moins en termes de croissance des revenus des entreprises. 
Une inflation modérée permet aux employeurs de pratiquer des augmentations de salaire également modérées en valeur nominale, sans avoir nécessairement à payer plus en valeur réelle. 

 

En revanche, lorsque l’inflation augmente, les revenus et les prix ont tendance à suivre et, d’un point de vue historique, nous avons constaté des spirales d’augmentations de salaires et de prix se stimulant mutuellement comme on l’a vu dans les années 1920. 

L'indice des prix.
aller voir


Pour juger de l’inflation, encore faut-il que sa mesure soit fiable.
Pour la France, vous pouvez en juger en allant voir mon article consacré à l’indice des prix, là. . .

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(*) Le «framing» traduit par «cadrage» en Français est une des techniques de manipulation les plus puissantes. Bien connue des sondeurs, la façon de formuler une question influe sur la réponse qu’on lui donne !

 

Vous avez vos questions, j’ai mes réponses, disait Georges Marchais aux journalistes. Il n’avait pas tort d’être méfiant. La formulation d’une question induit sa réponse…

 

Quel taux de croissance faut-il pour supprimer le chômage ? Sous entend que le chômage est lié à la croissance et que l’économie est une loi de la nature.

La BCE doit-elle imprimer de la monnaie comme la FED ?, sous-entend que le monétarisme, une variante du laisser-faire, est la seule option possible.

De même, on nous dit que la France doit faciliter le licenciement pour devenir compétitive. Mais le principe du marché est l’échange, donc la différence, pas la concurrence.

 

Le framing est l’art du marketing. Mais ce sont nos partis politiques qui en font le plus brillant usage. La gauche est « de progrès », aux USA la droite est « pro life »... Qui voudrait-être anti progrès ou pour la mort ? Donc voter pour d’autres qu’eux ?

 

Les idées des Lumières fondent notre République. Elles voulaient la liberté de l’homme. Résultat ? Le « libéralisme ». Le sens de libéralisme, progrès et éducation sont associés au « bien ». Alors on a apporté leur image de marque à des objets que l’on veut promouvoir.

 

Le principe fondamental du framing, c’est d’associer à un terme que la société aime, ce qui sert l'intérêt particulier.

 

Le framing joue sur nos faiblesses. Avant tout, sur le fait que l’on doit faire ce qui est sous entendu, pour ne pas perdre la face.

 

Il y a une parade : Nous devons réapprendre à penser par nous-mêmes. Et si, pour commencer, nous faisions le contraire de ce que l’on nous dit ?...

 

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Lutte, réduction et amélioration sont les trois termes clefs du langage politique. Ils ont l'avantage de pouvoir être accolés indifféremment à inflation, déficit, finances publiques... Et toutes les combinaisons sont possibles.

Jacques Mailhot, humoriste

 

 

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