Les illusions, le paradoxe de l'abondance

par Jean Marie Champeau 2 Mai 2021, 08:52 curiosité logique

Le paradoxe de l'abondance  est l'observation que la disponibilité en quantité non limitée d'une satisfaction précédemment rare, après une période de frénésie initiale, finit par engendrer une sorte de lassitude.

 

Le paradoxe provient du fait que ce qui est devenu facile d'accès se retrouve à terme moins utilisé que lorsque l'accès en était difficile.

Un expérience

Voici une expérience de marketing étonnante.

 

Sur un étalage on présente aux consommateurs six sortes de confiture. 
Le lendemain, on étale cette fois 24 sortes de confitures. On compare ensuite les chiffres de ventes et … surprise. 
Les ventes sont supérieures avec 6 sortes de confitures plutôt que 24 ! 
Moralité : l’abondance de choix freine l’acte d’achat !

L’expérience a été menée avec tous les contrôles d’usage par Sheena Iyengar, professeur à l’Université de Columbia, auteur de The art of choosing (éd. Twelve, 2010). Le livre met en avant un paradoxe de notre société de consommation : le malaise provoqué par l’abondance des choix.

Devant trop de possibilités, le consommateur est comme paralysé. C’est une expérience que chacun à pu ressentir. 
 

Description

Montaigne mentionne, sans lui donner ce nom, cet effet dans ses Essais 
"Que notre désir s’accroît par la mal-aisance". 
Il en fait ce résumé : "Il en va ainsi partout : la difficulté donne prix aux choses".


En réalité ce paradoxe résulte de la conjonction de deux phénomènes :

- La rareté qui ne l’est plus.
- L’excès de choix.

Ce qui est rare est cher

  

Il faut entendre par rareté, la faible quantité accessible, comme les matières précieuses, mais aussi ce qui est rendu rare par la pression sociale comme les tabous ou les interdits ou par la quasi impossibilité de le réaliser comme un exploit technique, physique ou intellectuel.

Le diamant, l’or sont rares et cher mais qu’en adviendrait-il si on trouvait en quantité ?

On peut prendre l’exemple de l’aluminium, métal qui est courant pour nous mais qui ne l’a pas toujours été. 
En 1807, Humphry Davy, après avoir découvert que le sodium et le potassium entraient dans la composition de l’alun, la substance astringente servant à fixer les teintures, suppose qu’il s’y trouve aussi un autre métal, qu’il baptise « aluminium ».

Le chimiste français Henri Sainte-Claire Deville améliore en 1846 la méthode de Wöhler qui est utilisée de façon industrielle à travers toute l’Europe pour la fabrication de l’aluminium, notamment en 1859 par Henry Merle dans son usine de Salindres, berceau de la société Pechiney. Néanmoins la méthode reste extrêmement coûteuse, donnant un métal dont le prix était comparable à celui de l'or. 

Le métal est alors destiné à fabriquer des bijoux de luxe, de la monnaie ou de l’orfèvrerie réservée à une élite. Il en est ainsi pour les coupes d'honneur et les objets d'art fabriqués pour la cour impériale de Napoléon III. Ce dernier reçoit ses hôtes de marque avec des couverts en aluminium, les autres convives devant se contenter de couverts en vermeil.

 

1900–2015, Aluminum in US

Les progrès de l'électricité et la découverte, en 1886, d'une production de l'aluminium par électrolyse, permettent de baisser les coûts de manière importante. 
Dès lors, l'aluminium trouve de nouvelles applications dans les ustensiles de cuisine et, en alliage, dans l'industrie de l'aéronautique. 
En 1901 naît un cartel qui maintient le prix de l'aluminium stable.  À la fin des années 1970, l'arrivée de nouveaux concurrents (Canada, Australie, Russie) font éclater le cartel qui ne contrôle plus son prix qui décline.
L’aluminium est devenu un métal ordinaire.  

Moins, c’est mieux

 

Trop de choix nuit à la décision. Comme nous l’avons vu dans la petite expérience du début, la multiplicité des informations ou des marchandises qui s’offrent à nous, provoque parfois malaise, désarroi et indécision.


Aujourd’hui nous devons apprendre à nous restreindre devant l’abondance et les multiples tentations alimentaires qui s’offrent à nous. 

Les publicitaires le nomment l'hyperchoix. Placé face à une offre trop abondante de produits divers, rapidement obsolètes ou démodés, le consommateur finit par refuser de choisir.

Il en va de même pour l’information : des millions de sites à portée de cliques, des centaines de chaînes de télévision, des milliers de livres.


C’est le paradoxe de la société d’abondance. 

Les solutions

Une des solutions est de restreindre la liberté de choix, par exemple réduisant le temps de choix.
"lorsque n'existe aucune pression à agir dans l'urgence, les abonnés abaissent la priorité de l'opération", et au bout du compte aucune action n'a lieu. C'est pour cela que les réductions ont des durées limitées.

 

Ou en ayant des contraintes :

 

L’écrivain Georges Perec se fixait des contraintes de composition, parfois absurdes, pour stimuler son écriture. C’est ainsi qu’il a écrit un roman entier La disparition, sans employer une seule fois la lettre « e », la plus courante de la langue française.

 

Dans les entreprises, les décideurs ont compris depuis longtemps que la première action dans leur décision est de chercher les contraintes pour leur permettre de cadrer leur réflexion.

C’est peut être ce qui manque aux administrations. Elles suggèrent des décrets conformes à leurs élucubrations pour encadrer des « décisions » qu’elles ont déjà prises. C’est comme cela qu’on fabrique le meilleur des mondes, pour qui ?   

Conclusion   

Dans le Paradoxe du choix, Comment la culture de l’abondance éloigne du bonheur (trad. Française 2009), le psychologue américain Barry Schwartz a décrit le phénomène. 

Dans des sociétés d’abondance, de nourriture, d’information ou de divertissement, notre problème n’est pas de manquer de ressources mais d’en avoir trop.

Ce qui est devenu facile d'accès se retrouve à terme moins utilisé que lorsque l'accès en était difficile soit par la banalisation, par écoeurement ou par non choix.


 Nous avons besoin de rareté pour rêver.                   

 Les gens ne mangeraient pas de caviar s'il était bon marché.

Groucho Marx

 

 

paradoxeabondance

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_l'abondance

https://fr.wikipedia.org/wiki/Aluminium

Par Leyo, Con-struct - 1900–2015: « Aluminum ». Historical Statistics for Mineral Commodities in the United States (Report). United States Geological Survey. 2017

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